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Docteur Jean-Georges Rozoy


Résumé des abréviations utilisées dans les articles : consulter la liste.

2008

Dr J.G. ROZOY

ÉVOLUTION RÉCENTE DU CERVEAU



Résumé

L'évolution de l'humanité depuis trois millions d'années, ici précisée sur quarante mille ans, ne suit pas la voie générale des êtres vivants qui varient sur des dizaines ou centaines de millions d'années (par stases et sauts, d'après Gould) : le maintien long de la variante précédente non intégrable n'est pas le cas pour nous. Notre cerveau se modifie, dès Homo habilis, de façon continue et beaucoup plus rapide (moins de trois millions d'ans) à cause de la conscience de soi, conjuguée avec le langage et l'éducation et avec l'insatiable curiosité, qui entraîne la panmixie. Les Paranthropes n'ont pu s'y intégrer et ont disparu, d'où l'unicité de l'espèce. A la complexification post-natale de la moitié des connexions intracérébrales à divers niveaux (Changeux 2002), y compris sensations, émotions et sentiments (Damasio 2003), s'ajoutent les caractères apparus par mutation et ceux dûs à la complexité créatrice de nouveauté (Rozoy 2003). Ces propriétés se sont vite répandues dans toute l'espèce par la conjonction du langage et de l'épigenèse, évitant les spéciations régionales. C'est ainsi que l'effet réversif de l'évolution (Tort 1992) constitue la base de l'humanisme et de notre liberté : les individus sont devenus des personnes solidaires.

Abstract

Human evolution over the last three million years differs from that of all other living beings, which were characterized by rather slow and gradual evolution. From Homo habilis onwards, the human mind, as well as language and education, has evolved continuously and rapidly (over less than three million years). On the other hand, Paranthropus could not adapt, leading to their extinction. To the complexity of intercerebral connections at different levels within the human brain, comprising sensations, emotions and sentiments, were added new character generated by mutation, creating a new complexity of connections (Rozoy 2003).
These properties were rapidly diffused through the whole species by the conjunction of language and epigenesis, avoiding the emergence of regional species. Thus the effect of evolution (Tort 1992) was to form the oasis of our humanity and of our liberty : individuals became interdependent people within communities.

Mots-clés : abstraction, cerveau, conscience, épigenèse, évolution, gradualisme, phylétique, invention, langage, liberté

Keywords : abstraction, brain, consciousness, epigenesis, evolution, phyletic, gradualism, invention, language, liberty

Introduction

Le gradualisme phylétique a été souligné par F. Facchini (2001, 222), la continuité phylétique et morphologique de Homo habilis à Homo sapiens par épigenèse et "sans rendre nécessaires des processus de spéciation". Au-delà de cet acquis, le présent texte n'examinera du cerveau humain que ses avancées récentes chez Homo sapiens, depuis environ 200 000 ans. L'homme est alors déjà maître des forces naturelles, le feu en particulier, et sait faire des lances (débitage Levallois, image mentale). Le volume global du cerveau, autour de 1 450 ml, ne variera plus, il est limité par les dimensions du bassin féminin, les améliorations tiendront à l'énorme multiplication des connexions intracérébrales et surtout à leur constitution après la naissance sous l'influence de l'éducation.

Le cerveau du sapiens

1. Le facteur g (corrélations) intégrant émotions et socialité, non imitable par des machines

Le facteur g (général) de Spearman, percevoir des relations entre relations poursuit son expansion jusqu'à présent. Il intervient dans tous les autres facteurs cognitifs, lié à la capacité d'abstraction nécessaire à la formation des concepts, à l'analyse, à la synthèse et à la généralisation.

C'est une fonction globale d'une très grande partie du cerveau, très dispersée mais connectée en réseau, et son importance s'accroît à mesure de la multiplication des synapses ("espace de travail global", Changeux 2002, 50, 136-145). Des myriades de connexions sont organisées de façon de plus en plus complexe entre les centres cognitifs, à plusieurs niveaux irréductibles (Atlan 1986, chap. 2). C'est mettre en fonctionnement coordonné de multiples centres spécialisés, y compris les centres préfrontaux (et autres) des émotions (Damasio 1994, chap. 1 à 4) et du sentiment (Damasio 2003) et les capacités des représentations sociales (Churchland 1999, 151-154).

2. L'effet réversif de l'évolution (Tort 1992)

L'intervention des centres émotifs et sociaux assure l'unité organique de la personne humaine dans sa totalité, émotive et sociale beaucoup plus que rationnelle. La solidarité sociale se développe : on maintient en vie des handicapés que les communautés animales auraient abandonnés. Dès Homo habilis, via le cerveau conscient, la sélection naturelle favorise et renforce, d'abord au sein du groupe local et de la tribu régionale, ensuite (au Paléolithique supérieur) dans la famille de langages et au-delà, la primauté de cet instinct social des personnes, base de toute morale (Darwin 1871-1981 ; Tort 1992 ; Quiniou 1997). On communique à longue distance, et la panmixie génétique évite les spéciations locales.

3. Sensations, émotions et socialité intégrées à l'intelligence

Les centres émotifs et sociaux ont dans le cerveau un rôle capital : ils complètent les capacités logiques par la perception sensuelle et sociale. Albert Einstein (in A. Damasio 1994, 145) précise pour ses recherches "le ressort émotionnel poussant à jouer avec ces éléments." Les malheureux n'ayant plus ce centre émotif et social (Damasio 1993, 131) sont devenus incapables de décisions humainement valables. D'où les sévères limitations de tout espoir d'une véritable intelligence artificielle : une machine peut être dotée d'une logique avancée implacable, elle n'aura jamais nos sensations viscérales physiques et sociales. La décision de problèmes humains "dans le domaine social" (Damasio 1993, 134) est donc, par nature, exclusivement humaine. Le cerveau raisonne d'ailleurs en machine analogique (Dehaene 1997, 257-262). Définir l'ordinateur, machine limitée à la logique, comme "une machine à raisonner" (Dowek 1996, 113) c'est parler d'un tout autre type, non humain, de "raisonnement", où de plus une différence essentielle (entre autres) tient à une prise en compte insuffisante et inadaptée du caractère incertain du raisonnement par induction. La prétendue "intelligence artificielle", si l'on doit un jour la fabriquer, ne saurait être qu'une pseudo-intelligence. Les machines sont limitées à des déductions uniquement logiques, utilisables hors du domaine social. D'autre part, conscience de soi, éducation et instinct social entraînent une évolution cérébrale continue cent fois plus rapide que celle des animaux, et qui se poursuit encore. Les stases évoquées chez les animaux (Gould et Eldredge 1971 ; Gould 2006) n'ont pas existé chez nous.

4. Homo sapiens sapiens ancien : travail de l'os et dessin abstrait

L'Homo sapiens sapiens est connu dès 100 000 ans au Proche-Orient, et plus en Afrique, avec les mêmes silex moustériens que le Néandertal. D'importantes avancées le distinguent de ce cousin : trois sites à Katanda (Zaïre) dans la Rift Valley, comportent des pointes barbelées (analogues aux harpons aziliens d'Europe) et d'autres outils en os, mais datés vers -90 000 ans (Fig. 1), puis à Blombos, en Afrique du Sud, à -70 000 ans, des gravures sur ocre. Ce décor abstrait, géométrique, précède de loin l'art figuratif. Bien avant son arrivée en Europe, le sapiens sapiens a donc travaillé l'os et décoré. Sa lignée est déjà séparée de celle du Néandertal, où ces nouveautés ne sont pas apparues, du fait d'organisations neuronales différentes, car le volume global du cerveau du Néandertal était supérieur au nôtre (1 600 ml et plus, 1 500 pour le sapiens sapiens, de Quafzeh, à -90 000 ans, Vandermeersch 1990, 237, et 1 450 en moyenne actuellement). Ce n'est pas le volume du cerveau, mais son organisation interne, en continuelle complexification, qui permet ces avancées. Les découvertes africaines rendent évident ce gradualisme phylétique spécial à notre espèce et rendent assez relative la distinction entre Paléolithique supérieur et Mésolithique.

Homo sapiens sapiens moderne : maîtrise de la matière, parure et art

1. Débitage laminaire. Perles. Analyse et corrélations. Liberté

Le débitage de lames est typique des "cultures" successives du Paléolithique supérieur européen et des périodes suivantes. Avec le décor. des habits (perles cousues) ce sont en Europe vers -40 000 de nouveaux progrès. L'intelligence pratique est guidée par un emploi encore élémentaire (et implicite) d'analyse et de corrélations. Cet usage de la réflexion habitue à procéder à des choix et conforte le sentiment de liberté dans un monde déterministe. L'éventail des outils est très agrandi (92 types). Le débitage est alors soumis (sinon, échec) à des nécessités de mise en forme et d'entretien des surfaces. 30 000 ans plus tard vient un débitage lamino-lamellaire dont l'emploi généralisé au Mésolithique sera libre de ces contraintes, la liste-type comprendra près de 120 entrées (Rozoy 1967 ; 1968). Au Néolithique, vu le foisonnement, les chercheurs renonceront à établir une liste unique des types.

2. Parure et art : évolution interne propre à Homo sapiens sapiens

Les perles à -40 000 (Fig. 1, en bas) énoncent l'identité sociale. Puis il faut presque dix mille ans avant de pouvoir figurer la Nature (grotte Cosquer, 30 000 cal BC). L'oubli trop fréquent de ce délai découle d'un préjugé fixiste, la prétendue identité du Cro Magnon avec nous. Communiquer les images mentales est "le pas suivant dans l'abstraction la capacité de séparer la forme de l'objet lui-même" (Bordes 1971, 19). Mais le rendu de la perspective est rare et très incomplet, il n'y aura pendant 20 000 ans ni paysage ni vue d'ensemble, on figure des éléments juxtaposés. Donc, lacunes pour le sens de l'espace et les corrélations. Le délai normal pour l'adaptation sociale des inventions est alors de l'ordre de cinq cents à mille ans, or il y a pour les outils (débitage, propulseur, arc) et pour plusieurs paliers de l'art des délais de l'ordre de dix mille ans et plus, dûs à l'organisation toujours accrue des connexions entre les centres cognitifs. Une évolution interne du sapiens est manifeste, la lenteur des progrès indique le caractère physiologique de cette amélioration (Rozoy 2003) : gradualisme phylétique. L'apparition indépendante de l'art figuratif dans d'autres parties du monde a lieu au même moment et suit, sous des formes spécifiques, les mêmes caractères. Le tout est donc propre à l'espèce entière.

3. Abstractions sous forme concrète : Cro Magnon submergé dans le monde animal

Ces figurations d'animaux sont des symboles (des abstractions), ils sont concrets, forme primitive de l'abstraction, nécessaire pour être comprise de tous, (Rozoy 2003). La distanciation reste au Paléolithique incomplète, les rares humains figurés sont loin d'avoir un rôle majeur. Il y a surtout des femmes, des mères (Duhard 1993), traduisant le mystère, à l'époque, de l'origine des gestations et peut-être un rôle de direction sociale. Les signes sont des abstractions plus poussées, longtemps saisies des seuls initiés. Ils prolifèrent tardivement, lorsque tous pourront se passer des symboles concrets, dès l'Azilien. Le rationnel l'emportant sur l'affectif, les humains deviendront au Mésolithique de libres "maîtres et possesseurs de la Nature", enfin conscients des mécanismes de génération.

Le propulseur : saisir sensuellement les facteurs mécaniques

A l'Aurignacien vers -40 000 les pointes en os ou en bois de renne sont compatibles avec des javelots lancés à la main. À la fin du Solutréen, vers -20 000, on fait des pointes à cran moins lourdes (4 à 5 g), les sagaies de 150 à 270 cm pesant 120 à 300 g au plus, sont lancées avec des propulseurs. Les mécanismes sont déjà complexes : levier, équilibration du projectile, stabilisation par empennage. L'homme commence à saisir obscurément, sensuellement, des facteurs (mécaniques) et les applique à leur base matérielle. Les progrès sont laborieux, pas à pas, à chaque fois adaptés, à travers de multiples tâtonnements, au seul cas tangible en question. C'est un outil, pas encore une machine.

1. Groupes de 50 personnes (?). Conscience du groupe régional

Certaines chasses exigent alors des groupes nombreux, avec rabatteurs. Au Magdalénien supérieur de Pincevent, une tente complexe réunit trois unités, une dizaine d'autres concentrations spatiales sont simultanées, on estime là une cinquantaine de personnes. Mais les effectifs des groupes sont très variables dans le temps et dans l'espace, il y a des camps de base occupés par de petits groupes : Roc-la-Tour (Rozoy 2003), Gönnersdorf (Bosinski 1979), 10 à 15 personnes. Nous ignorons tout de la structure de ces groupes : autorité, rôles des sexes. Le pouvoir (très relatif, consensuel) est local, mais les conjoints viennent de la tribu linguistique. A la conscience de soi et du groupe local s'ajoute celle du groupe régional.

2. Occuper un quart à peine du territoire

"Occuper" pour ces "grands chasseurs" est même excessif, l'Ardenne ne reçoit au Magdalénien qu'en été, sur 5 000 km2, une douzaine d'humains, il n'y a personne en hiver. Une tribu de 1 000 ou 1 500 âmes "occupe" 15 000 à 20 000 km2, il y a un groupe tous les 20 ou 30 km, puis c'est le vide sur 300 ou 400 km jusqu'à la prochaine tribu, il y a 5 ou 6 tribus en France. Pour le Nord de la France et l'Europe plus à l'Est, à peine le dixième du terrain est "occupé", les espaces vides sont immenses. Il y a 10 000 à 15 000 habitants en France, 20 000 à 25 000 en Europe (Rozoy 2001) pour le Magdalénien supérieur. Pour le Gravettien il faudrait diviser (par deux ? par quatre ? il y a trop peu de données). Des contacts interculturels sont attestés et la diffusion des gènes assure l'unité de l'espèce.

L'arc, première machine, perdu, réinventé

1. Un inventeur génial ne suffit pas, les cerveaux moyens du moment doivent se saisir de la nouveauté

Divers centres d'invention ont eu lieu, au Gravettien en Périgord (Rabier, Soriano 1998) et en Allemagne, au Solutréen en Espagne (Parpallo), sans généralisation. L'invention simultanée du propulseur, plus simple, a étouffé celle de l'arc, plus précis (Rozoy 1992 a), mais exigeant une grande rigueur, hors de portée des cerveaux moyens du temps. De la réinvention témoignent à la fin du Magdalénien diverses sortes de pointes très légères, de l'agilité cérébrale, la réutilisation de gros outils périmés (Fig. 2). Les cerveaux moyens sont alors capables d'observer la rigueur méthodique nécessaire (Rozoy 1993). La pointe azilienne servira en Europe mille ans, d'autres formes ont été inventées (un peu plus tard) en Amérique et ailleurs : donc, fait général, lié à l'avancement du cerveau, non au changement du climat, car les trois changements techniques (arc, section oblique de lamelles, trapèzes) surviennent chacun avant la variation climatique (Rozoy 1989, 26 ; 1995, 1009). L'arc est une machine - la première - avec accumulation d'énergie. Saisir le facteur pratique (mécanique) nécessitait dans le cerveau le facteur g de corrélations à un niveau élevé (purement matériel, sensuel, sans capacités de théorisation). L'arc a en Europe supplanté et éliminé le propulseur qui s'est maintenu, parfois à côté de lui, dans d'autres régions (Australie, Mexique). Avec le délai technique normal (cinq cents à mille ans), cela a entraîné les changements dans le choix des outils et dans la façon de débiter le silex.

2. L'Azilien transitionnel et abstrait. Puis la famille nucléaire comme base de la société

L'arc modifie les conditions de la sécurité et de la chasse, d'où un changement des groupes élémentaires : deux familles nucléaires, trois au plus, font au Mésolithique une unité autonome : groupe local de 10 à 15 personnes, au Magdalénien il en fallait 30 à 50. Il y a un délai pour les conséquences sociales presque tout l'Azilien, qui a abandonné l'art figuratif pour des graphismes abstraits : les cerveaux moyens peuvent aussi comprendre les symboles sans les images associées, cela atteste la complexification croissante des réseaux neuronaux. La puissance de chasse de l'arc et la poursuite des progrès cognitifs entraînent la forte augmentation de la population, dès l'Azilien, des zones vides au Magdalénien sont visitées ou occupées.

3. Au Mésolithique la population est multipliée au moins par quatre. Liberté et fraternité

Il y a en France 75 000 à 100 000 habitants, 5 à 6 millions pour la planète. Tout le terrain est occupé, les tribus sont au contact les unes des autres : 2 à 3 000 personnes sur 15 à 20 000 km2, on connaît et fréquente les voisins (Fig. 3). La diffusion très rapide de certaines techniques sur toute l'Europe atteste la poursuite et le développement de la panmixie. Il n'y a pas de centre plus riche ou plus peuplé, pas de domination (pas de réserves à voler), ce qui n'empêche pas les querelles individuelles pouvant aller jusqu'à l'homicide. Les images féminines sont réalistes, il n'y a plus de mystère sur l'origine des gestations. Liberté et fraternité sont attestées, avec des relations amicales d'échanges entre groupes (Fig. 4). L'effet réversif de l'évolution est dominant : la solidarité l'emporte. L'autorité, (consensuelle) est au niveau local, la "tribu" n'est unie que par des traditions (surtout le langage) et par les alliances matrimoniales. La liberté, confinant à l'anarchie, atteint un sommet. Insouciants, travaillant au plus 3 à 4 heures par jour (Rozoy 1978), les archers payent cette liberté en se passant de tous les biens, matériels et moraux, que la production pourrait leur apporter.

La Nature subordonnée. Progrès du facteur g

1. Culture et élevage

Culture et élevage débutent partout au même moment, là où le climat le permet : Amérique centrale, Chine, Inde, et les steppes du Proche-Orient, idéales pour céréales et pâtures. Le climat s'y prêtait depuis longtemps, au moins 7 000 ans ! De 12 500 à 9 000 s'y déroulent le Natoufien, culture prédatrice avec quelques villages sédentaires, puis le Khiamien et quatre ou cinq siècles ensuite avant les villages agricoles. Il y eut là des figurations féminines, que J. Cauvin (1997, 46) nomme des divinités : comme celles du Paléolithique, elles indiquent la perplexité devant la génération. Avec des capacités cérébrales augmentées et une vision plus large de l'Univers, ces Puissances furent sans doute conçues comme plus capables, mais loin encore d'accéder à l'universalité et à la perfection qui seront, dix mille ans plus tard, attribuées aux Dieux. Cela montre, après les maisons permanentes, la diversité et l'autonomie des avancées conceptuelles selon les domaines. Au millénaire suivant, dans ce même climat, apparaîtra la production, au Pré Pottery Neolithic A (PPNA). L'origine des plantes est alors vraiment. comprise : on sème pour récolter. Percevoir la source des gestations au PPNB moyen (chèvre) sera moins évident, la saillie se fait naturellement au sein du troupeau. Le caractère féminin des proto-"divinités" évoque l'incertitude persistante sur les causes de la reproduction. La claire perception du rôle du mâle dans les gestations n'est certaine que lors du basculement du pouvoir en faveur des hommes, plus tard, avec l'exaltation du taureau et des armes, autour de 8000 cal BC, à la même date qu'en Europe, attestant la réflexion sur de plus longs délais et des corrélations neuronales plus étendues (facteur g). Il y eut alors deux événements psychiques à mille ans d'intervalle : le passage des Puissances animales aux proto-"divinités" féminines, puis l'invention de la production, elle- même en deux étapes (végétaux, puis animaux). Ce dernier événement psychique, possible et non advenu pendant 7000 ans, puis qui s'étale sur deux bons millénaires, c'est, comme les proto-"divinités" dépassant les Puissances animales, une évolution qui nous renvoie directement, dans les deux cas, au cerveau, base du psychisme, et ne nécessite aucune autre intervention (principe de parcimonie, dit "rasoir d' Ockham")...

L'Europe viendra plus tard à la production : couper la forêt demande un outillage et une économie autrement plus robustes et complexes. Ce sera fait dans la seconde moitié de l'Atlantique. La rapide acculturation des Mésolithiques européens au -5° millénaire montre qu'en la matière aussi le niveau cérébral requis était alors présent et général. Cela utilise le facteur g qui avait donc fait dans les cerveaux les progrès correspondants.

2. Capacité d'abstraction, de synthèse, de prévision à longue échéance

Le temps est perçu sur une plus longue durée. Chez les collecteurs natoufiens il y a des maisons permanentes, pendant plus de deux millénaires. Produire des aliments n’a donc pas été le seul souci du cerveau. La capacité d'abstraction, de synthèse, de prévision à longue échéance, va permettre aux Néolithiques tant de produire la nourriture que de construire des maisons bien plus importantes. Défricher pour cultiver, c'est raisonner à l'échelle de la vie humaine. Les communautés villageoises paraissent au début égalitaires, elles sont vouées à des "divinités" (?) féminines, donc possibilité (probabilité ?) d'un matriarcat dont l'extension demeure à chaque point essentiellement locale, puis régionale. Les villages sont plus fournis (100 ou 200 habitants) que les groupes locaux des archers, beaucoup de travaux ont un caractère collectif. Les réserves attestent la prévision à long terme, dont la gestion (bientôt au profit des puissants) suscite une hiérarchie sociale. Il apparaît des artisans (potiers, charrons, bourreliers, tisserands...) ; ces spécialisations, amorces de futures classes sociales, favorisent la poursuite du développement cérébral (en quantités de synapses et/ou en organisation), car les plus doués font souche plus que les autres. La direction sociale, plus autoritaire et plus hiérarchisée, passe à l'échelon régional, la tribu. La liberté personnelle cède devant les nécessités d'organisation, non sans que les dirigeants n'aient, maintenant, tendance à en rajouter à leur profit.

Du Proche-Orient, le Néolithique s'étend en Europe, la démographie galope vingt fois plus.

Comme pour l'art, d'autres centres indépendants naissent sur tous les continents de la même façon à des dates analogues, nouvelles preuves de l'unicité de l'espèce humaine et de l'évolution poursuivie graduellement de ses bases cérébrales cognitives et mentales.

Esclavage. Régression morale. Grandes disparités

1. La poussée démographique continue à la Protohistoire

Organisation et discipline débouchent au Proche-Orient sur des États despotiques avec des villes autour des palais. Les trilliards de connexions entre neurones ont encore augmenté en nombre, diversité, niveaux hiérarchiques et modes de fonctionnement, d'où la maturation des facteurs de base de l'intelligence et des corrélations. Les puissants dénient tout sentiment de solidarité humaine, autrefois dominant : paysans réduits à l'esclavage ou au servage, conditions sociales et savoirs très disparates entre esclaves misérables et bornés, soldats qui ne le sont guère moins, artisans spécialisés, étroite minorité de chefs et de courtisans.

Le commerce complique les relations sociales et sépare forces productives et profiteurs. La hiérarchie sociale est autoritaire, oppressive, bientôt héréditaire. La lutte pour la survie favorise les plus doués (pas toujours les plus utiles), qui laisseront plus de descendants, même au péril de leur société : ainsi latifundia et esclavage à la fin de l'Antiquité, privilèges de la noblesse française au XVIII°siècle.

2. Les divinités deviennent masculines. La violence prédomine ouvertement

La divinité sera inventée sur le modèle du pater familias tout-puissant. Les premiers dieux sont masculins, multiples, divers, querelleurs, imparfaits, locaux et de pouvoir limité. On leur demande le meilleur temps pour la moisson, une génisse, non un taurillon, et des enfants mâles pour exploiter le bien, à la femme d'en produire beaucoup, tous de son seigneur et maître. Violence : envers les esclaves, puis les serfs et les prolétaires, comme entre cités, entre États. A voir les chefs sanguinaires, l'effet réversif (tendanciel) paraît en sommeil : "barbarie résiduelle des civilisés" (Tort 1996). Dans le peuple, qui sinon ne pourrait survivre, la solidarité l'emporte. Les princes organisent des milices pour élargir leur emprise, et des armées : rapine contre tout groupe faible, guerres pour conquérir, piller et éliminer le rival. La population a fortement augmenté : multiplication par 25 de -8 000 au début de notre ère, par 40 ensuite. Le tout exige une administration.

Écrire : idéogrammes et alphabet

Vers -3 200 paraissent des idéogrammes, puis des phonogrammes, figurant des concepts (Sumer et Égypte). Aller de l'objet au signe, de là au son, puis à ses divers sens, c'est abstraire. Ce mélange de tracés a duré deux millénaires, et bien plus ailleurs : la Chine emploie encore les idéogrammes. Parallélisme, lenteur, ces cerveaux ne sont pas identiques aux nôtres. Les Égyptiens ont tôt atteint le principe alphabétique, sans en tirer parti (Février 1948-1995, 129). Les limites de l'abstraction sont soulignées par J. Bottéro (2001, 70) : "les vieux Mésopotamiens n'ont jamais accédé à la pensée abstraite (...), ainsi présentaient-ils leurs idées générales (...) toujours incarnées en quelque donnée singulière". Leur Dieu était une ébauche d'abstraction, mais sans généralisation. Les Phéniciens, vers -1 300 inventent 22 consonnes. En dériveront les alphabets grec et latin, avec les voyelles. Abstraction cette fois complète, les 24 signes sont encore dans le même ordre. L'évolution biologique se poursuit : la généralisation n'est pas encore atteinte.

Généraliser : Philosophie, Démocratie, Sciences

1. Le "miracle grec" exprime, dès le début du -VI° siècle, la généralisation des idées abstraites

Même relative (entre propriétaires d'esclaves !), cette démocratie atteste que "par le biais des instincts sociaux, la sélection naturelle, sans saut ni rupture, a sélectionné son contraire, soit : un ensemble normé, et en progressive extension, de comportements sociaux anti-éliminatoires assorti d'une éthique antisélectionniste" (Tort 1992). La démocratie est avec la morale (Darwin 1871¬1981 ; Quiniou 1997) le triomphe de l'effet réversif de l'évolution. En sus de nombreux systèmes spécialisés (Boyer 2001, 118), un grand système généraliste est devenu indispensable. D'où l'inévitable délai multimillénaire pour que l'épigenèse organise, étende et complique dans le cerveau les liaisons nécessaires entre les centres spécialisés, induisant de nouvelles possibilités de corrélations, dont nous verrons toutefois encore les limitations. Géomètres et architectes dépassent enfin les "données singulières" des vieux Mésopotamiens, expriment en termes abstraits les premiers principes essentiels des formes : la géométrie est fondée par Pythagore et Thalès, puis Archimède. Euclide théorise l'ensemble au III° siècle. Sont impliqués, outre le sens de l'espace, une forte progression du raisonnement et des capacités de corrélations, dont ne disposaient pas encore à ce niveau, depuis trois mille ans, les architectes qui avaient bâti au Proche-Orient les palais des souverains.

C'est à ces nouvelles corrélations, et à de nouveaux niveaux hiérarchiques parmi elles, que nous devons les merveilles de l'Acropole et des temples antiques et aussi sculpture, poésie et art dramatique : émotion et sentiment, bases de la solidarité humaine, ne progressent pas moins.

2. Généralisations sur l'homme et la société : gnöthi seautón !

"Connais-toi toi-même" (Socrate, fin -V° siècle). Çakyamuni (Bouddha) et Confucius enseignent au même temps des principes analogues (Allègre 1997, 196) : une preuve de plus de l'unicité de notre espèce et de la lenteur, mais aussi de la régularité universelle (par panmixie) des avancées des réseaux de liens cérébraux. Entre les premiers idéogrammes sumériens et égyptiens et "Le Banquet" de Platon s'écoulent près de trois millénaires, ce n'est pas d'ordre social, mais nettement biologique. Platon et Aristote écriront, diffuseront et généraliseront au –IV° siècle la pensée des sages, et souligneront la liberté de l'être humain, élément essentiel des premières généralisations.

Les connexions cérébrales continuent à se multiplier et à se diversifier sous les effets conjugués du langage et de l'épigenèse : chaque neurone entretient plusieurs milliers de synapses avec d'autres neurones, au total il y a actuellement 10^14 à 10^15 synapses dans le cerveau (Changeux 1983, 254-255). Au temps d'Aristote il y avait encore, pour pouvoir monter dans l'abstraction, à progresser, que ce soit en nombre ou en organisation des synapses et de leurs niveaux non réductibles les uns aux autres (Atlan 1986, chapitre 2) : Archimède lui-même avait beaucoup de mal à calculer.

Calcul et logique

1. Le concept du zéro et la numération de l'Inde

Le problème des nombres est dans leur maniement. Il faut associer trois éléments d'abstraction, donc utiliser le facteur g à un niveau très supérieur. En Inde fut faite au + IV siècle (Ifrah 1994) la fusion totale de la numération positionnelle, des neuf chiffres abstraits et du zéro, mais il fallut mille ans pour que cela parvienne en Europe. J.-P. Changeux (2002, 226-232) souligne le caractère récent du système de représentation exacte, sa forte relation avec "le langage parlé, mais surtout écrit", et son lien étroit avec l'épigenèse cérébrale. L'assimilation de la méthode par la plupart des esprits avancés donna enfin aux sciences un essor impétueux. Le facteur numérique joue même souvent un rôle très excessif dans les estimations du Quotient intellectuel (Rozoy 2003 ; Gardner 2001), au détriment de l'intelligence pratique et de l'intégration des émotions et de la socialité.

2. La logique, l'arithmétique et la linguistique, complétées aux XIX° et XX° siècles

Épigenèse et langage continuent d'œuvrer. Le théorème fondamental de l'algèbre a été démontré complètement en 1799 par Gauss, les nombres réels ont été définis correctement il y a un siècle par Dedekind (Dehaene 1997, 271). La logique stagna sur les bases d'Aristote jusqu'au XIX° siècle, où Frege y introduisit les relations, mais elle est encore en pleine évolution, à preuve les raisonnements par abduction et par induction, complétés par Peirce, Osherson et Sloman (George 1997, 110-113). Des axiomes sont intervenus en arithmétique avec Peano à la même époque (Dowek 1996). En linguistique, aussi depuis Aristote, c'est au XX° siècle que Peirce, De Saussure, Chomsky et Langacker (Rastier 1998) approfondirent l'analyse des signes de la pensée, base des avancées actuelles de la neurobiologie (Changeux 2002, 176), etc. Comme pour l'invention de l'arc ou le délai entre la parure de perles et les tracés figuratifs, ces attentes démesurées (2300 ans) excèdent fortement les durées nécessaires à l'adaptation sociale des inventions, qui sont maintenant de l'ordre du siècle, et même moins : ainsi l'expansion du collier de cheval vers l'an mille, et aujourd'hui de l'automobile, de la radio, de l'ordinateur...

3. Une progression biologique du cerveau

C'est ce qu'indiquent clairement ces stases se comptant en millénaires pour des éléments abstraits. Bien des gens instruits reculent aujourd'hui devant les nombres imaginaires comme devant le niveau d'abstraction des langages formels fondés sur des systèmes symboliques, utilisés dans les "systèmes experts", seuls succès actuels, mais très notables, dans des champs étroits du savoir (Ganascia 1993, 48¬67 ; Pignon 1996), de la pseudo-intelligence artificielle (cf. section 2, § 3). Le cerveau-esprit humain est en passe, sous nos yeux, au sein de sa grande diversité, en dépit de ses fortes inégalités (Robert 2003), de franchir encore un pas qui le mènera vers une cohérence unitaire, au-delà de la "panoplie de systèmes mentaux" spécialisés évoquée par Pascal Boyer (2001, 294).

L'épigenèse se poursuit

1. Continuer à intégrer les sentiments humains et les rapports sociaux

C'est à cette condition (Damasio 1994, chapitres 1 à 4; Damasio 2003; Churchland 1999, 151-154; Houdé, Mazoyer et Tzourio-Mazoyer 2002, 576-582) que sera franchi ce pas (inabordable aux ordinateurs, v. ci-dessus, 2). Même aujourd'hui, alors que (en Occident) nous conservons en vie et instruisons tous les enfants, le cerveau continue à s'améliorer (Changeux 2002, chapitre VI), puisqu'un facteur capital de cette épigenèse infantile est, via le langage (Monod 1970, 147¬151), la pression d'un milieu social lui-même en progression, culturelle et éthique (Changeux et Connes 2000). En témoigne l'augmentation actuelle marquée, du fait de l'instruction dans tous les pays avancés, du quotient intellectuel moyen, qui oblige à remanier les échelles d'évaluation.

Or "près de 50 % des synapses de l'adulte se forment après la naissance" (Changeux 2002, 90). Épigenèse, complexité et auto-organisation sont pour Strohman (cité par Atlan, 1999, 17) les composants essentiels du nouveau paradigme en biologie. D'où l'importance d'une instruction généralisée et d'une éducation précoce de tous les enfants. Souhaitons-en de même aussi tôt que possible à tous les enfants du monde, sans exception d'ethnie ni de sexe !

On peut donc espérer dans un avenir plus ou moins proche (décennies ? ? ? siècles ? ? millénaire ?) le perfectionnement chez tous les humains, pour intégrer ces systèmes mentaux, du "grand système généraliste" ébauché chez Aristote, amélioré chez Frege, Peano, De Saussure etc., annoncé par Pascal Boyer (2001, 118), déjà en cours de constitution chez une minorité notable de privilégiés de la Nature et de l'éducation. La base en sera l'extension dans tous les cerveaux, par épigenèse, de "l'espace de travail global" décrit par Changeux (2002). Cet espace unifie le traitement des informations et actions fournies et élaborées par les divers modules. Cette base comportera un ou plusieurs autre(s) niveaux hiérarchiques (Atlan 1986, chap. 2). Ces niveaux neuronaux d'organisation ne sont pas plus réductibles à leurs composants que la chimie ne l'est à la physique de ses éléments, ni la physique aux niveaux atomique ou quantique. Leurs caractères propres créent des possibilités nouvelles, différentes, et incommensurables avec celles des niveaux constitutifs sous-jacents (Houdé, Mazoyer et Tzourio-Mazoyer 2002, 373- 376). Ces niveaux supérieurs d'organisation entre les modules neuronaux, dont la réalité et/ou l'importance sont négligées par les philosophies réductionnistes, expliquent à la fois l'émergence progressive des fonctions intellectuelles, artistiques et morales et la réalité de notre liberté. Ils résolvent ainsi la contradiction que certains philosophes viscéralement attachés, à juste titre, aux droits de l'homme et aux libertés (Comte-Sponville et Ferry 1998) croient encore insoluble entre la réalité neuronale de plus en plus manifeste et les valeurs humanistes essentielles. La généralisation de ces bases neurales entraînera, dans la "soupe" de représentations et de messages qui nous submerge encore, l'élimination progressive des "grumeaux" irrationnels (Boyer 2001, p. 322).

Conclusion : capacité inventive et liberté

1. Causes et mécanismes de l'évolution biologique n'ont pas disparu il y a 40 000 ans, ni depuis

Sous la pression permanente du milieu (naturel et social), via le milieu (psychique et social), l'homme est devenu "son propre produit", l'invention en est stimulée, et donc la sélection des plus novateurs, des mieux adaptés socialement. Cela modifie les caractères de sélection, accélère beaucoup l'évolution et rend plus évident le gradualisme phylétique (Coppens 1999, 125). Le mécanisme génique cérébral de cette évolution (production abondante d'ARN messager dans le cerveau) a été découvert par l'équipe de Svante Pääbo du Max Planck Institut (Allemagne), il est toujours actif (Le Monde, 18.4.2002, citant Science du 12.4.2002).

2. La capacité inventive, moteur essentiel de toute notre évolution

La créativité, base de tout progrès, est distincte des capacités cognitives et n'est pas liée au niveau du Q.I., peut-être (?) à son niveau relatif du moment. Des inventions nombreuses ont eu lieu dès le début ; le cerveau, en voie d'évolution, présentait déjà une très grande variabilité, d'où encore aujourd'hui l'anormale dispersion du Q.I., signe d'une évolution en cours (Rozoy 2003). La créativité existe chez environ un tiers des "doués" (Q. I. supérieur à 130), soit 1% des gens; la proportion baisse (ou n'est pas reconnue...) dans le reste de la population. La quantification pose de gros problèmes et il n'y a pas de proportionnalité avec le Q.I. On pourrait émettre l'hypothèse d'un lien (non d'une identité) de la créativité avec l'intensité et surtout le mode d'organisation des capacités de corrélations, mais je ne dispose pas des moyens propres à une vérification ou infirmation, qui ne seraient d'ailleurs pas faciles. Dans cette hypothèse, les éléments décisifs seraient facteur g de corrélations, apparu dès le début de l'hominisation, chez Homo habilis , et surtout l'organisation des liaisons transversales entre les centres cognitifs avec niveaux étagés irréductibles. Mais H. Poincaré (1908, dans Hadamard 1959-1993) et J. Hadamard (1959-1993) ont montré il y a un siècle, rejoints depuis par les études des cognitivistes modernes sur le cerveau (Changeux 2002; Damasio 2003) le rôle essentiel de la sensibilité esthétique, de l'harmonie et de la beauté dans l'invention mathématique, et plus largement dans l'invention en général, donc dans ce qu'il y a de plus abstrait au monde. Ce ne sont évidemment pas les ordinateurs qui pourront se substituer aux cerveaux humains dans ce rôle capital, car nul ne saurait leur conférer le sens humain de la beauté, d'ailleurs variable selon les personnes.

3. Inventivité et liberté

L'inventivité interfère dès l'origine, autant et plus que le facteur de corrélations, avec tous les facteurs en cause : il a fallu innover dans chaque domaine, ce qui suppose un choix, donc la liberté de décision. Le facteur g est un puissant adjuvant à l'invention, il n'en est pas le garant, les deux tiers des "doués" actuels (3%) ne sont pas spécialement inventifs. L'inventivité paraît être, comme l'usage des corrélations et pour les mêmes raisons (voir ci-dessus, section 2, § 3), une fonction globale particulièrement développée dans certains cerveaux, sans localisation anatomique précise.

Sur cette base du caractère global de ces fonctions cérébrales l'on peut, avec F. Facchini (2001, 224), insister sur le "comportement non-déterministe" des humains, base de notre liberté. La liberté de décision de la personne humaine, fondement de toute éthique, est une conséquence qui émerge nécessairement de la structure complexe de notre cerveau par le jeu des sentiments sociaux, de la conscience étendue et de nos capacités d'abstraction et d'inventivité.

BIBLIOGRAPHIE

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HADAMARD, J. 1959-1993. Essai sur la psychologie de l'invention dans le domaine mathématique. Sceaux : J. Gabay (contient aussi Poincaré 1908, L'invention mathématique).

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TORT, P. 1996.Nature et culture (addition). In Dictionnaire du Darwinisme et de l'évolution, ed. P. Tort, 3156. Paris : P.U.F.

L'origine des autres citations sera trouvée dans : Rozoy 2003.

LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS

Fig.1 - Précocité du travail de l'os, du graphisme et de la parure dans la lignée du sapiens sapiens.

A.-Pointes barbelées en os de Katanda (Zaïre), African Archaeological Review, vol 15, n° 3, 173-198. Déjà Homo sapiens, à – 90 000 en Afrique. B. - Gravure sur ocre de Blombos (Afrique du Sud), d'après Science (08.01.2002), très agrandi. – 70 000. C. - Perles de l'Aurignacien de Spy, d'après Lejeune 1987 (sans gravures).


Fig.2 - Mésolithique supérieur de Birsmatten (Suisse), horizon 2 (in Rozoy 1978).

La coexistence, de nouveau constante, d'outils grossiers avec les poinçons en os et les armatures de flèches les plus élaborées montre une agilité du cerveau acquise au cours de l'évolution.


Fig.3 - Deux phénomènes interculturels (in Rozoy 1978).

Ils témoignent à la fois des liens entre les groupes régionaux moins étendus définis par ailleurs et de leurs relations de parenté technique toutefois limitées : au Sud, zone sauveterroïde, au Nord, zone tardenoïde, mais n'incluant plus le Tardenoisien-Sud.


Fig.4 - La densité des sites à l'Épipaléolithique (in Rozoy 1978).

Les prospections de surface d'un chercheur bénévole ont découvert en quelques années, sur une dizaine de kilomètres, plus de cent sites témoignant de la présence des chasseurs épipaléolithiques : à cette période, pour la première fois, tout le pays est occupé, les groupes humains sont en continuité territoriale.


Résumé des abréviations utilisées dans les articles : consulter la liste.

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