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Docteur Jean-Georges Rozoy


Résumé des abréviations utilisées dans les articles : consulter la liste.

1960

J.G. ROZOY

L'ALLÉE COUVERTE DE GIRAUMONT



Le 21 décembre 1958 furent entreprises par la famille Rozoy des recherches systématiques à partir de la ligne de calvaires qui couronnent les hauteurs entre Remilly et Clavy. L'hypothèse de la christianisation de lieux païens s'avéra des plus fructueuses puisque, le 15 février, à Saint-Marcel, sur le terroir de Giraumont, M. le Docteur Rozoy a découvert une allée couverte sous tumulus de pierres et de terre qui fait partie d'un groupe mégalithique important : quatre mégalithes dans la commune, de nombreux autres détruits, dont les restes sont visibles ou dont les noms figurent au cadastre, et des stations de surface de silex taillé. Les recherches se poursuivent sur plus de 2.000 hectares.

Sis sur une crête qui domine la vallée du Thin, (vis-à-vis du relais de télévision de Sury), lieu-dit « La Ganguille », parcelles D. 661 et D. 681, le tumulus dessinait autrefois une éminence d'une trentaine de mètres de diamètre, haute de 1,20 à 1,50 m. Il comporte en son centre trois couches distinctes, nulle part remaniées. A la base (et seulement autour du mégalithe), argile jaune et pierres apportées de 200 ou 300 m. Puis une couche de pierres locales (provenant des champs immédiatement voisins) mélangées de terre noire, sur 0,60 m, englobant le mégalithe ; autour de celui-ci, elle en comprend des fragments détachés par suite de tassements. Par-dessus, pierres locales sans terre sur 0,60 m, ne comportant aucun débris du monument, et débordant la couche précédente à la périphérie. La surface porte une végétation de broussailles ayant constitué un peu de terre végétale où fut trouvée une monnaie régionale de 1640. « F. M. D(e) L(a) Tour, duc de Bouillon » et « 1640, double de Sedan ». Cette pièce est la propriété du jeune Daniel Baudouin de Giraumont, qui l'a trouvée lors des fouilles auxquelles il a participé très activement. La couche supérieure provient certainement du rejet sur le tumulus des pierres extraites lors de la destruction (pour agrandissement du champ) de sa partie ouest.

Dans la couche de base (qui forme les fondations de l'allée) furent trouvés les débris d'un vase (fig. 1) à pâte brun-rouge très grossière, à dégraissant de quartz, brûlé à l'intérieur, avec quelques débris osseux calcinés. Le vase paraît à l'inventeur, contemporain du monument, sa pâte est semblable à celle des débris trouvés à St-Marcel dans une ciste dolménique enterrée.

L'allée a été construite avec des blocs de grès siliceux résiduels, de l'ère tertiaire, autrefois communs dans les environs (cailloux de Stonne et grès analogues). Elle comprend une « Antichambre » ouverte à l'Est, longue de 2 m, large de 1,20 m, et une « chambre » de 5,50 m, large de 1,50 m, séparées par deux dalles mégalithiques verticales laissant entre elles une ouverture triangulaire à base inférieure (fig. 2). L'un des deux piliers de l'antichambre porte quelques traits gravés (fig. 2, à gauche en haut). La chambre est bordée par des murs en pierres de Dom-le-Mesnil liées par de l'argile brune, taillées et soigneusement appareillées, de 0,30 à 0,60 m sur 0,10 à 0,20 (fig. 3). Une excavation à plus de 200 m constitue sans doute la carrière d'où ils ont été tirés (cette pierre ne se trouve pas plus près). Il s'agit du banc supérieur du bajocien moyen qui comporte naturellement de nombreux trous de pholades, curiosité géologique le rendant impropre à l'utilisation à l'époque actuelle. Mais nos ancêtres de l'âge du cuivre ne s'y sont pas arrêtés. La hauteur de 1,20 m est réduite à 0,80 à l'Ouest et à 0,30 m au centre par l'inclinaison de la dalle centrale à la suite d'un éboulement.

La couverture mégalithique se compose de trois dalles épaisses de 0,60 m. Celle de l'Est (qui a glissé sur ses piliers) couvrait l'antichambre. Les deux autres, de 3 x 3 m environ, reposent sur les murs de la chambre, en partie effondrés sous leur poids (6 à 8 tonnes chacune). Ces effondrements ont provoqué la rupture de la dalle ouest en trois morceaux restant jointifs, celle de la dalle centrale en deux morceaux inégaux (fig. 4).

Le monument était entièrement empli par un éboulis de pierres et de glaise, qui recouvrait dans l'antichambre une dalle calcaire de 1 m x 0,60 x 0,15 profondément brûlée, et portant une sculpture en demi-relief (veau ou mouton ?) (fig. 5). Cette sculpture est à rapprocher d'une autre, en ronde-bosse, figurant sur la face supérieure de la dalle centrale, à côté de 3 cupules (dont une quadruple) et deux bassins, et qui représente une tête de bœuf (ou cheval ?), longue de 1,20 m, portant 2 cupules semblant antérieures à la sculpture (fig. 6). Le style des sculptures est analogue à celui d'autres sculptures animales visibles sur des mégalithes de Bretagne, en particulier la Table des Marchands.

La chambre comportait, sur un dallage grossier en calcaire local, un mobilier très réduit avec très peu d'os (tous brisés, aucun crâne ni débris de crâne), quelques déchets de silex, quelques pièces microlithiques (non géométriques) et une seule tête de flèche (à tranchant transversal). Aucun débris de poterie d'aucune époque : un morceau de bague (?) en pierre se trouvait au centre de la chambre mais à 0,30 m au-dessus du dallage, il peut provenir de l'incinération extérieure.

Dans l'hypothèse d'une réutilisation ultérieure (Gallo-Romaine ? ), celle-ci serait responsable des sculptures, de l'absence du mobilier, et de la constitution du tumulus. Cette interprétation paraît à l'inventeur peu plausible en raison des constatations stratigraphiques et de l'absence totale de vestiges postérieurs dans la couche archéologique. Il faudrait alors penser à la sépulture en deux temps, déjà attestée à Saint-Marcel, avec ré-inhumation (ou incinération) des ossements, et surtout des crânes, peut-être dans le même tumulus dont la fouille n'est pas terminée. Les sculptures proviendraient du contact d'une autre civilisation à la fois dans l'espace (cette allée est de loin, la plus au N.E. connue), et dans le temps, le passage au petit appareil décelant un mégalithe très tardif (2.000 à 1.500 A.C. et peut-être moins). Il semble que dans notre région la culture chalcolithique « Seine-Oise-Marne » ait perduré sous une forme évoluée presque jusqu'au premier âge du fer qui fut ici, on le sait, particulièrement précoce. Elle a pu avoir des contacts marginaux avec des cultures influencées par la civilisation des steppes dont les interférences avec la culture méditerranéenne ont constitué de tous temps un des éléments fondamentaux de l'histoire et du développement culturel de l'Occident. Ceci expliquerait l'introduction dans un monument typiquement S.O.M. d'idoles animales qui sont étrangères à la culture chalcolithique du bassin parisien.

Le fouilleur tient à remercier ici les propriétaires du terrain qui ont aimablement consenti à la fouille et le fermier, M. Justine qui l'a grandement facilitée, participant lui-même avec ses fils à certaines opérations de dégagement délicates et pénibles. Sa gratitude s'adresse également à la population du petit village de Giraumont, qui, dans sa presque totalité (83 habitants) a apporté son concours, et particulièrement à M. Lagny, Maire de St-Marcel et M. et Mme Bernier, institutrice et secrétaire de Mairie, et aux élèves conseillés par Mme Bernier.

Souhaitons en terminant que ce bel ensemble, unique dans toute la région, et en instance de classement comme monument historique, puisse être restauré. Il faudrait pour cela que l'administration des Beaux-arts (et peut-être le Conseil Général ?) accordent les crédits nécessaires à la conservation, non seulement de la construction, mais aussi des œuvres d'art les plus anciennes (et de loin !) de notre département. L'installation d'une pancarte explicative près du tumulus serait également la bienvenue (1).



(1) Un arrêté du 11 octobre 1960 a classé l'allée couverte de Giraumont parmi les monuments historiques

LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS

Vue d'ensemble du Tumulus pendant les fouilles

Fig. 1. Vase à incinération trouvé à la base du Tumulus, en dehors de l'allée

Fig. 2. Le Dr Rozoy fouille l'emplacement de la dalle sculptée (Photo Héraux)

Fig. 3. Les murs ouest et nord (partie). L'étai cache l'angle N.-O.

Fig. 4. La cloison transversale vue d'en haut. Le fouilleur est dans la chambre funéraire.

Fig. 5. La dalle sculptée de l'antichambre (100x60 cm). Veau ou mouton ? (Photo Héraux)

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Fig. 6. Tête de boeuf sculptée sur la dalle centrale (longueur 120 cm)


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