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Docteur Jean-Georges Rozoy


Résumé des abréviations utilisées dans les articles : consulter la liste.

1980

Dr J.G. ROZOY

LE MESOLITHIQUE DANS LE BASSIN DE L'OURTHE


Soutenance de thèse d'André Gob à Liège.

Le 8 janvier 1980 avait lieu à l'Université la soutenance de thèse de doctorat d'André Gob, aspirant du F.N.R.S. belge. Le jury était composé, autour de Mlle H. Danthine, professeur à l'Université de Liège, présidente, du professeur De Laet (Université de Gent), du professeur St. Kozlowski (Université de Varsovie), du professeur Pissard (Université de Liège, géologie) et de Mme Ulrix-Closset (Université de Liège, service d'archéologie préhistorique).

En un trop bref exposé, André Gob tout d'abord mit en valeur les acquis principaux de son travail dactylographié de 900 p. (dont 133 pl.). L'un de ces acquis est d'avoir pu extraire des recherches anciennes (y compris celles de L. Lequeux) ce que l'état de conservation des collections permettait d'en tirer, en définitive plus qu'il n'avait lui-même espéré. La méthode employée est une analyse par attributs, en partie parce que le matériel (souvent provenant d'un tri ancien ou trop peu abondant) ne permet pas de synthèse trop poussée, mais aussi par choix de l'auteur répugnant au caractère « fermé » des listes-types. On notera que A. Gob a le bon sens d'opérer des synthèses partielles... et de reconstruire ainsi les classes de « segments », « pointes de Zonhoven », « triangles », « pointes à base retouchée », « armatures à retouche couvrante » et « trapèzes », sans parler encore des grattoirs, des burins, etc., c'est-à-dire en fin de compte une liste fort classique et raisonnable dont il se sert fort bien. La terminologie est toujours claire, simple et bien définie, et le texte, de lecture très agréable. La division en trois catégories : outils communs, outils sur lames et lamelles, armatures, pourrait être appelée à un avenir très utile pour le Mésolithique. Les lamelles à bord abattu sont classées avec les outils sur lamelles, tendance qui pourrait, elle aussi, s'avérer justifiée, l'auteur de ces lignes l'avait envisagée mais les études de traces d'emploi sont nécessaires avant d'en juger définitivement.

L'essentiel de l'ouvrage est consacré à l'« analyse descriptive des gisements et de leur industrie ». Parmi 90 sites seuls 19 (dont 8 de moins de 50 outils) comportent une industrie homogène et bien localisée. Les conditions de gisement et de récolte excluent la conservation de l'os (une seule exception) et l'identification des cultures en cause ne se fonde pratiquement que sur l'industrie lithique et essentiellement sur les armatures, à cause de l'inégale valeur de la conservation pour les outils communs. (On notera que pour A. Gob une culture est un ensemble beaucoup plus vaste que pour l'auteur de ces lignes, et les « cultures » de celui-ci sont pour A. Gob des faciès régionaux. L'opposition est beaucoup plus dans les mots que dans les choses). Le corpus constitué par A. Gob, décrivant complètement et objectivement les industries, pourra servir de base aux comparaisons futures. Sa clarté et sa précision en font un modèle du genre.

Enfin une classification chronoculturelle est établie, ainsi que ses rapports avec les industries des régions limitrophes et son intégration dans le cadre européen.

Les premiers groupes proprement mésolithiques connus apparaissent dans la seconde moitié du VIIIème millénaire, les uns (Sougné A) dérivant des groupes régionaux de l'Ahrensbourgien, d'autres (l'Ourlaine daté à 7 260 ± 130 avant notre ère) avec abondance de segments. A. Gob les rattache au Beuronien ancien (Beuronien A) de W. Taute et S.K. Kozlowski (qui s'étendrait « du Bassin Parisien à la Moravie » et s'opposerait au Sauveterrien d'une part, au Maglemosien de l'autre), mais ils en constituent un faciès nord particulier.

Un grand nombre de gisements (groupes de Chinru et d'Inzegrotte) caractérisent le stade moyen, rattachés de même au Beuronien (à noter que A. Gob place ainsi Les Mazures dans le stade moyen). Il s'agit ici des Beuroniens B et C. Ces groupes seraient dans la région parmi les plus septentrionaux du Beuronien, et me paraissent influencés par les groupes « maglemosiens » plus au Nord (présence des armatures à troncature oblique, etc.). Pour A. Gob on commence à « déceler, de façon encore imprécise, des faciès régionaux (...), les distinctions ainsi tracées sont floues et mouvantes » (on notera que A. Gob n'a pu s'appuyer que sur un très petit nombre de sites fiables, ce qui l'empêche d'utiliser les outils communs et les lames retouchées pour définir les faciès régionaux ; or c'est là une base indispensable, ainsi que le débitage, les nucléus, etc.).

La chronologie (et même l'existence) du stade récent en Ardenne ont depuis cent ans posé des problèmes extrêmement difficiles. La remarquable sériation d'A. Gob (sa pl. 119), bien que basée (pour les raisons dites) sur les seuls décomptes des armatures, paraît fournir la première approche sérieuse de cette occupation où les trapèzes et le style de débitage de Montbani n'apparaissent que médiocrement et tardivement. Le groupe de Gingotte y succède directement et dans la continuité la plus absolue au groupe de Inzegrotte. Le groupe de Gingotte se caractérise par les armatures à retouche couvrante (qui en Campine et dans le Tardenois apparaissent dès 6 200 avant notre ère) et par quelques trapèzes typiques, mais ne comprend pas de lames et lamelles Montbani.

A. Gob propose d'individualiser autour de la Campine un ensemble « Rhein-Schelde-Meuse » « du Pas-de-Calais à la vallée de la Lippe », comprenant le bassin de l'Escaut et les bassins inférieurs de la Meuse et du Rhin. Cet ensemble R.S.M. « se distingue très nettement du Montbanien » de S.K. Kozlowski (nom donné par cet auteur au stade récent du Bassin Parisien jusqu'au Jura). Sa phase initiale « A » (à retouches couvrantes et sans trapèzes) n'est pas jusqu'ici connue en Ardenne, tous les gisements du groupe de Gingotte possédant des trapèzes typiques et appartenant donc à la phase B du R.S.M., ce qui compense peut-être la réduction de surface de cette culture à ce moment au Nord, à l'Est et à l'Ouest (on notera que les « cultures » de A. Gob se rapprochent ici beaucoup plus, par leur extension, de celles du signataire de ces lignes).

La chronologie absolue du stade récent en Ardenne pose des problèmes presque insolubles. Une seule datation est disponible, celle de la couche 5 A du Coléoptère à 5 000 ± 90 avant notre ère (sur os non brûlés, donc pouvant être rajeunis) qui ne peut être, d'après les fouilleurs, rajeunie de plus de 500 à 600 ans puisque la couche 5 A est du début de l'Atlantique (microfaune). L'industrie qui provient de la partie inférieure de la couche, au contact de la couche B datée du Dryas III, ne comprend que 44 outils dont un seul trapèze sur 22 armatures, le reste étant typiquement « beuronien ». A. Gob admet donc tout le groupe de Gingotte comme du Vème millénaire (on notera que si l'on replace la base du Coléoptère 5 A à 5 800 avant notre ère parallèlement à tous ses congénères en Europe et en conformité avec sa position stratigraphique, le groupe de Gingotte débuterait avant l'Atlantique ou à son tout début).

Enfin la néolithisation de l'Ardenne paraît avoir été tardive, le Danubien n'y est pas connu et A. Gob admet comme « très possible, voire probable, que les phases les plus récentes du Groupe de Gingotte soient contemporaines de l'occupation danubienne à l'Ouest de la Meuse » (on notera que toutes les précédentes imputations de tels « retards culturels » se sont effondrées aussi bien pour le S.O. de la France que pour la Bretagne, etc. Parions qu'il en ira de même ici).

Le professeur S.K. Kozlowski souligne ensuite, dans son intervention et ses questions, la grande valeur du travail réalisé et fait préciser par A. Gob la place du Mésolithique du bassin de l'Ourthe dans le cadre européen : bien que s'inscrivant dans le Beuronien les groupes étudiés présentent des caractères régionaux qui indiquent des rapports avec les cultures voisines (maglemosiennes) ce qui empêche de définir une frontière marquée. Au stade récent certains éléments propres au Montbanien (évolué depuis le Beuronien) apparaissent, et d'autres non, en fonction également de rapports avec le Nord.

Le professeur De Laet, après avoir félicité A. Gob d'avoir réussi cette gageure sur un matériau si compromis, discute l'extension effective du Beuronien dans la plaine Nord-européenne qui possède ses groupes bien autonomes, et rappelle la nécessité (particulièrement impérieuse en Belgique) de ne pas traduire les noms de lieux.

Le professeur Pissard, après les mêmes éloges, remarque que les sites de bords de plateau et d'éperons (majoritaires à près des 3/4) sont 9 fois sur 10 exposés au Sud, en situation d'adret. L'explication d'A. Gob (position permettant d'exploiter à la fois vallée et plateau) ne serait donc pas la seule déterminante.

Mme Ulrix-Closset souligne ensuite l'excellence du travail caractérisé par le sens critique, le sens du raisonnement scientifique, la volonté d'analyse méthodique et l'esprit de synthèse avec le souci de replacer la zone étudiée dans un large contexte européen.

Enfin Mlle Danthine, présidente, après avoir remercié A. Gob d'avoir, après M. Otte et M. Dewez, achevé le traitement de l'énorme documentation recueillie depuis cent ans, souligne la parfaite honnêteté scientifique du travail. Celle-ci, jointe aux qualités analysées par les autres membres du jury et notamment par Mme Ulrix, en fait un ouvrage de grand mérite, avec un classement très valable, et que l'on espère voir bientôt imprimé après correction des défauts tout à fait mineurs que le jury a signalés à l'auteur.

Hors jury, Mlle Danthine demande ensuite à l'auditoire si quelqu'un désire ajouter quelques mots et prie en particulier le docteur Rozoy de donner son sentiment. Celui-ci souligne la grande valeur de l'ouvrage, la rigueur et la bonne adaptation de la méthodologie au matériel étudié, et tout particulièrement l'excellence de la sériation réalisée sur 21 sites par une méthode classique chez les Anglo-Saxons mais trop rarement employée en pays francophones. Il indique encore que les divergences remarquées entre les interprétations d'A. Gob et les siennes paraissent relever beaucoup plus des procédés d'exposition et de terminologie que de conceptions vraiment différentes ; il envisage pour l'avenir proche des travaux convergents, notamment pour l'étude des outils communs (éclats retouchés) et insiste sur la nécessité d'imprimer au plus tôt cet excellent ouvrage.

Après délibération, le jury décerne à André Gob le titre de docteur en Histoire de l'Art et Archéologie (Archéologie préhistorique) « avec la plus grande distinction ». Nous ne pouvons qu'en féliciter l'impétrant et l'assurer de notre sympathie.


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