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Docteur Jean-Georges Rozoy


Résumé des abréviations utilisées dans les articles : consulter la liste.

1997

Cl. et M. Masset, C. et Dr J.-G. Rozoy

LE NICHET-2 À FROMELENNES (ARDENNES)



Le calcaire primaire du Dévonien (étage Givétien) de Fromelennes, près de Givet, à la frontière belge, comporte, comme dans tout le canton et comme dans le Dinantien de la vallée belge de la Lesse, un peu plus au nord, de multiples fissures et cavités karstiques de toutes dimensions, depuis de minimes réduits jusqu'aux cavités les plus développées bourrées de calcifications magnifiques, telles les célèbres grottes de Han et de Rochefort. Ces cavités, lorsqu'elles étaient accessibles, ont été utilisées par l'Homme de Néandertal et par nos ancêtres à toutes les époques, du Moustérien aux périodes historiques, comme habitats occasionnels ou importants, ensuite comme refuges dans les temps troublés, et aussi comme lieux de dépôt des corps et de traitement des squelettes selon des modalités compliquées dont nous commençons seulement à prendre la mesure. On connaît ainsi au nord du massif schisteux ardennais plus de 200 "grottes mosanes" (Toussaint 1995) qui ne sont pas toutes du Néolithique final, plusieurs sépultures mésolithiques y ont été reconnues ces dernières années, sans oublier les squelettes néandertaliens anciennement connus de la Naulette, Engis et Spy, ceux plus nouveaux de Sclayn ni les vestiges des âges du bronze et du fer.

La grotte de Nichet à Fromelennes (fig. 1), au bord d'un plateau, 80 m au-dessus du thalweg, à 200 m de la frontière belge, n'atteint pas aux très grandes dimensions de celles de Han et de Rochefort. Elle comporte toutefois sur une hauteur de 55 m d'importants développements (40 x 40 m) et de fort belles calcifications, admirées des visiteurs, la Municipalité ayant très bien rénové, éclairé et sonorisé l'aménagement ancien datant d'un siècle (Terres Ardennaises 1992). La cavité est doublée à 50 m au sud-ouest par la grotte du Tasson (mot régional désignant le blaireau), d'un développement analogue, dont les splendides cristallisations ne sont actuellement pas accessibles aux touristes puisque l'on n'y parvient que par trois puits verticaux dont le premier est fort étroit. A la suite de la découverte de nouvelles galeries doublant celles déjà connues, dont l'une remonte en pente douce vers la sortie du Nichet, les chercheurs du Groupe Spéléo Ardennais ont entrepris le 11 novembre 1995 de désobstruer une fissure rocheuse sise à 15 m de cette sortie et pouvant communiquer tant avec le Nichet qu'avec la nouvelle galerie du Tasson. Ils sont rapidement arrivés, parmi des blocs de toutes dimensions sur des ossements très brisés difficilement identifiables qu'ils ont soigneusement recueillis. Lorsque la découverte de maxillaires leur a fait reconnaître les os comme humains, ils ont interrompu leurs travaux et nous ont avisés. Il faut rendre hommage à ce comportement exemplaire ainsi qu'à la patience qu'ils ont montrée depuis lors. Présents sur le terrain trois heures plus tard, nous avons pris, avec l'aide appréciée de Mr Saiselet, Maire de Fromelennes, les mesures de protection indispensables, tamisé les déblais (2 m3) et demandé une autorisation de fouille. Après diverses péripéties administratives (le dossier a dû passer cinq fois devant la C.I.R.A., Commission Interrégionale de la Recherche Archéologique) nous avons pu sonder, puis fouiller les couches archéologiques de ce minuscule abri de quatre à cinq mètres carrés et libérer ainsi le terrain pour la poursuite de la désobstruction. Selon la décision des autorités en charge de l'archéologie régionale, la fouille de la sépulture collective néolithique, commencée par l'équipe Rozoy en avril 1996 en même temps que le sondage, a été achevée en septembre 1996, sous la très amicale direction de Claude Masset, par David Nicolas, Monique Masset, Philippe Masson, Colette et Jean-Georges Rozoy et Christophe Sauvage. La fouille de la couche sise à la limite des couches 3 et 4 a été faite en mai-juin 1997 par David Nicolas, Colette et Jean-Georges Rozoy et Christophe Sauvage. Nous tenons à remercier très chaleureusement le Maire et la Municipalité de Fromelennes qui nous ont aidés de diverses façons, tout d'abord en établissant un abri bien conçu nous permettant de fouiller au sec, puis tout au long de nos travaux en nous fournissant le courant électrique (et la balladeuse !), les bastaings nécessaires à la fouille sur planches, en hébergeant une partie des fouilleurs au chalet des grottes, en mettant la salle des fêtes à notre disposition, etc.

Plan et stratigraphie


Nichet-2 se présente actuellement comme une brèche triangulaire dans une barre rocheuse à paroi subverticale haute de 2,50 m (plus de 3 et 4 m au nord-est, où sont les accès de la grotte touristique) qui forme sur ce point le bord d'un plateau de plusieurs hectares. La cassure correspond à une faille subverticale (voir la coupe frontale, fig. 4, à la limite des mètres L et M). Au-dessus se voit clairement un demi-entonnoir renversé, vestige évident d'un suçoir ayant déterminé sur le plateau un petit aven, dont la partie antérieure a par la suite disparu. Cette disparition est certainement en rapports avec la structure même du rocher, dont la partie subsistante est massive et parcourue de failles orthogonales, alors qu'il subsiste à l'avant des vestiges d'une zone beaucoup plus tourmentée, se délitant en fragments très irréguliers, zone qui a pu disparaître progressivement ou brutalement. La barre rocheuse est exposée au nord-ouest, donc à toutes les pires intempéries pour cette région, et l'abri est minime, très malcommode. Mais il semble que le Nichet-1 n'ait pas été accessible aux époques préhistoriques, en tous cas on n'a pu y trouver aucune trace humaine, les corps des deux "sépultures" mérovingiennes ayant très probablement été introduits par l'étroite cheminée qui donne dans la salle du Renard, et l'aven donnant dans la salle des Nutons imposant lors de la Préhistoire un saut d'au moins 5 à 6 m. Il y avait toutefois des sépultures à l'entrée, les déblais des travaux faits vers 1900 contiennent quelques restes humains, présumés néolithiques, et il n'y avait alors probablement pas d'accès vers l'intérieur. La sortie, en tous cas, a été ouverte artificiellement.

Le plan et la coupe ci-joints (fig. 2 et 3) montrent la disposition des lieux à Nichet-2 : au niveau 0 (environ 1,50 m au-dessus du sol artificiel du chemin), la brèche est un triangle qui mesure 1,80 m de large et 2,80 m de long, soit 2,5 m2. En dedans de la ligne du rocher (à - 100, soit un peu au-dessus du sol actuel), il n'y a guère que quatre mètres carrés et demi, dont la moitié sous des plafonds rocheux à 30 ou 50 cm du sol. Le sondage stratigraphique a été effectué en avril 1996 dans les carrés L-M-11 (et partiellement L-10 et L-12) avec tamisage à sec à 10 et 4 mm. Il a montré sept couches de terrain et deux couches archéologiques, l'une (l'ossuaire néolithique) dans la partie inférieure de la couche 2, l'autre à la limite des couches 3 et 4. Voici la succession des couches observées (fig.  3, 4 et 5) :

I. Humus forestier actuel : 3 à 5 cm, les blocs de la couche 2 pointent au travers. N'a été constatée par nous qu'au dehors de l'abri (au sud-ouest, car au nord-est c'est remplacé par le chemin de sortie de la grotte touristique). Mais la description des spéléologues est identique.

II. Eboulis de blocs importants, de 5 à 50 cm et parfois plus. Il y a peu de terre de couleur brun foncé, environ deux tiers de blocs (en volume), le reste comporte une bonne moitié de pierres anguleuses de 1 à 5 cm, un sixième de pierres anguleuses de 4 à 10 mm et enfin un dixième environ du volume total passe à travers le tamis à mailles de 4 mm. Quelques rares coquilles. Tous les blocs un peu importants (au-dessus de 10 cm) sont nettement rectangulaires, ce qui répond à la structure du rocher dont ils proviennent : de multiples plans de clivage parallèles et perpendiculaires entraînent le détachement de blocs parallélipédiques. Ces blocs sont dans l'éboulis disposés dans tous les sens, sans aucun ordre. La couche II avait, avant l'intervention des spéléologues, une épaisseur de plus d'un mètre, la partie supérieure (100 cm au fond, mais beaucoup moins en avant) ne comprenant pas d'os humains : couche II-1. Du niveau 100 au niveau 130-140, la couche 2 comporte des os humains dispersés à tous les niveaux, mais exclusivement en dedans de la ligne du mur rocheux : couche II-2, où il y a beaucoup plus de blocs et de terre que d'os. A la base seulement il y avait quelques dalles à peu près horizontales au niveau 130 (aménagement), et ceci, seulement en arrière, dans les mètres 13. Aucune trace n'a été perçue en avant d'une limite verticale (mur ou vide de comblement).  Dans les mètres 12, en avant, faute de dalles de fond et de mur actuellement perceptible, quelques petits os sont descendus jusque vers 140. Hors de l'abri, au sud, dans le mètre K 11, la couche II est remplacée par des déblais de l'aménagement du Nichet vers 1900, éboulis très vacuolaire et assez noir. Il ne subsistait que peu de la couche II contre le mur rocheux. Les détails de la structure dûs à des faits humains seront décrits dans l'analyse archéologique (facies B et C).

III. Eboulis de petits blocs : pierres non anguleuses de 1 à 3 cm, émoussées, arrondies, couleur plus grise que brune. Cette couleur tient à l'absence de la terre brune de la couche II, laissant apparaître la teinte des pierres elles-mêmes, avec un peu d'humus. La fraction de 4 à 10 mm est (en volumes) le double de ce qu'elle était en couche II. La couche III n'a aucune consistance, elle se gratte aisément au doigt, elle est de teinte plus claire que le II quand elle est sèche (dans l'abri), mais elle apparaît noire au dehors là où elle est humide. Elle ne contient pas d'os humains, mais beaucoup de coquilles de plusieurs espèces. Sous l'abri, elle comble les espaces libres entre les gros blocs anguleux sous-jacents. Epaisseur : selon les endroits, de 5 à 30 cm. Elle recouvre la seconde couche archéologique qui repose sur la couche IV. La couleur noire, la granulométrie et les espèces des coquilles indiquent pour cette couche une période holocène, forestière.

IV. Terre beige-orangée, collante (argileuse ?), avec des pierres allant jusqu'à 5 cm, même de petites dalles dans la partie proche de la barre rocheuse et sous l'abri. La transition depuis le III est brutale.  Epaisseur : Hors de l'abri, de 20 à 50 cm selon les endroits. Mais sous l'abri cela se réduit parfois à 5 ou 6 cm. La couche IV comble là, sous la III, les espaces libres entre les gros blocs anguleux sous-jacents qui forment sa base et dont le haut atteint la couche II-2.  En L-12-13, sous la partie latérale de l'abri, elle empâte de très grosses dalles de 30 à 80 cm venant du rocher surplombant. La seconde couche archéologique est à la surface de cette couche IV  et dans sa partie supérieure. Sous l'abri, au moins dans les parties où la couche VI est plus haute, il semble que ne se soit déposée que sa partie supérieure, qui contient cette couche archéologique dans toute sa (faible) épaisseur. Au dehors, là où la couche IV est épaisse, les vestiges sont limités à la partie supérieure. Dessous, absolument aucun vestige archéologique.

V. Terre très collante (argile ?), de couleur beige foncé (brun clair). Hors de l'abri, elle ne contient pas de pierres du tout. Elle n'a été observée qu'en L-10-11-12 et dans les parties de M-11-12 proches des mètres L (voir la coupe frontale M-L-12, fig. 5). En L-12-13, sous la partie latérale de l'abri, comme la couche IV, elle empâte de très grosses dalles de 30 à 80 cm venant du rocher surplombant, mais aucune petite pierre. Aucun vestige archéologique.

VI. Dépôt quaternaire déjà observé depuis 30 ans dans plusieurs des fissures rocheuses du calcaire givétien. La couche analogue du Trou des Rochettes à Rancennes, peu épaisse, reposait directement sur le rocher, elle a fourni une mandibule de renne. On l'avait tenue pour une rendzine. Cette couche extrêmement compacte, évoquant un plancher stalagmitique, et qu'il a parfois fallu attaquer à la pioche, est couverte d'un lacis de racines n'ayant pu la pénétrer. Elle est blanche (évidemment de la calcite) avec des passages beiges un peu moins durs, probablement un peu argileux, formant un véritable feuilletage. Dans la partie située sous la barre rocheuse, elle ne contient absolument aucune pierre. Par contre, dès qu'on sort de l'abri du rocher, elle empâte une multitude de blocs de 5 à 15-20 cm, blocs très irréguliers qui contrastent fortement avec les dalles et dallettes rectangulaires venant du rocher encaissant et attestent le démantèlement de la partie antérieure à structure irrégulière de la barre rocheuse (fig. 8). Cette couche VI est épaisse de 70 cm en M-12, débutant directement et abruptement sous la couche IV, au niveau 185. En M-13 elle remonte fortement jusque 150, au sud elle penche fortement vers L-12 où elle est séparée de la couche IV par l'argile V déjà décrite. On la retrouve en L-11 au niveau 250 (coupe frontale 11-12, fig. 5) où elle semble, en L-12, passer sous les très grosses dalles qui,là, encombrent les couches 4 et 5. Elle serait donc contemporaine du démantèlement de la partie avant tourmentée du banc rocheux, et aurait précédé celui de sa partie arrière plus rectangulaire. Le sondage n'y a trouvé aucun vestige archéologique.

VII. Terre très collante (argile ?), de couleur beige foncé (brun clair):  Nous ne la connaissons  que dans le carré M-12 sur environ 30 cm d'épaisseur. Elle est très analogue à la couche 5, quoique de teinte un peu plus claire. Aucun vestige archéologique. Epaisseur inconnue, le rocher de base n'est pas atteint, le sondage a été interrompu par une injonction administrative. La galerie du Tasson pourrait être à 3 m plus bas.

Pour la commission scientifique de la C.I.R.A. venue sur place en février 1997 (MM. Campy et Piningre), tout ce qui est au dessous de la surface de la couche IV est "très probablement des dépôts de karst profond, sans contact avec l'extérieur", sans possibilité d'éléments archéologiques. Il faudrait donc penser que des évènements géologiques sont intervenus en fin de constitution de la couche IV, ouvrant le site sur la vallée. Des prélèvements ont toutefois été effectués sur notre demande dans toutes les couches par Mr Roland Peuchot, malacologue à l'Université libre de Bruxelles et par Mme Claudine Noirel-Schutz, palynologue à l'Institut de Paléontologie Humaine, et d'autres ont été mis en réserve pour la sédimentologie. Nous allons trier aussi les meilleurs échantillons de charbon des couches II, III et IV pour des datations radiochronologiques.

La sépulture collective du Néolithique final


Fouillée comme dit ci-dessus principalement sous la direction de Claude Masset, elle a fait l'objet d'une première publication aux Journées Archéologiques de Namur en février 1997 (Masset et Rozoy 1997). Une publication plus détaillée est en préparation par une équipe pluridisciplinaire. Cette sépulture collective est attribuable au Néolithique final (culture de Seine-Oise-Marne, vers 3 000 - 2 500 ans avant notre ère), identifiée par une pointe de flèche à pédoncule et ailerons rudimentaires (fig. 7). Mais il y avait aussi , outre une défense de sanglier bien connue au Néolithique (surtout avant le S.O.M.), une anse de tasse et un fond de vase de l'âge du bronze, attestant des remaniements à cette période. Il y a aussi une perle en céramique, type plus courant à l'âge du bronze qu'au S.O.M. où toutefois quelques rares exemplaires sont signalés (Bailloud 1964, p. 213). La présence de cet objet en fond de couche, au même niveau que la pointe de flèche, ne prouve donc pas absolument que le remaniement par les gens de l'âge du bronze ait été jusque-là. Il y a quelques fragments d'os brûlés dont jusqu'à présent la datation n'est pas connue. Les premiers examens montrent un minimum de 17 personnes : 11 adultes et subadultes et 6 enfants de divers âges. Les études plus approfondies (appariement des os etc) pourront peut-être augmenter un peu ce nombre. La sépulture, en effet, se caractérise essentiellement par la très grande fragmentation et dispersion des os, il n'a été observé aucune connexion anatomique et la plupart des os présents sont fragmentaires, les parties manquantes ne sont pas réduites en petits morceaux mais bel et bien sont absentes de la sépulture. Il n'a été identifié qu'un peu plus de mille os (1043) alors que pour 17 personnes il y en a eu nécessairement plus de 3 500 (à raison de 208 os par corps humain). Même si l'on se limite aux 11 adultes et subadultes on devrait avoir près de 2 300 os. En particulier, il n'y a que des fragments de crânes (199 fragments, la plupart de moins de 2 cm. Un fragment de 15cm et un de 8 cm), dont seulement 9 rochers (4 droits et 5 gauches). Les rochers étant les parties les plus résistantes à la corrosion, et l'état physique des os (hors fragmentation) étant dans l'ensemble très bon, il est évident que 6 crânes ont été repris (les 11 atlas sont présents, donc les 11 crânes ont bien été présents assez longtemps pour permettre la séparation des atlas et des crânes correspondants). Les manques sur les autres parties des squelettes (11 fémurs d'adultes sont présents sur 22, et 14 humérus) montrent que la reprise des os ne s'est pas limitée aux têtes.

On aurait pu penser que les os humains seraient ici en position secondaire, comme décharge d'un autre lieu de sépulture encombré. Mais la partie (profonde) du dépôt fouillée par les archéologues, au contraire du haut évacué par les spéléologues, où les grands os (fémurs, humérus...) dominaient, montre nettement les caractères de "fond de couche" bien connus des spécialistes des sépultures collectives, avec l'abondance des fragments et des petits os (phalanges, os du carpe, du tarse etc). En cas de transport des os depuis un autre lieu, on aurait plus de grands os et moins de petits. Il faut donc conclure - comme le montrent aussi les fragments de crânes et les atlas - que ce sont bien les corps qui ont été déposés là, ont eu le temps d'y pourrir et ont subi ensuite, probablement un nombre important de fois, comme observé aussi dans des allées couvertes de la même période, diverses manipulations entraînant la dispersion des os et - en mélange avec des blocs de 2 à 20 kg et plus - leur fragmentation poussée. Ces pratiques ont pu s'étaler sur des siècles et se poursuivre à l'âge du bronze qui suit. A diverses reprises aussi sont intervenus des balayages repoussant des os de taille moyenne et petite vers le fond de l'abri où ils se sont accumulés dans des recoins et même dans une fissure en M-14 où ne figurent que ceux ne dépassant pas 35 mm, dimension maximale de l'accès. Un étalement sur plusieurs siècles et surtout sur deux époques serait toutefois contradictoire avec ce que l'on connaît des monuments funéraires S.O.M. qui semblent avoir été utilisés durant une période limitée, close par une "procédure de condamnation" y mettant fin. Il faudrait alors penser à une action séparée des gens de l'âge du bronze dont au moins un dépôt analogue est attesté dans la même barre rocheuse au Trou de Luc à 70 m de là.

Comme certaines sépultures collectives S.O.M. plus vastes et plus peuplées, celle du Nichet-2 présentait des structures originales que nous comprenons mal. La présence à la base, en M-13, de cinq grandes dalles posées horizontalement et de façon à peu près jointive sur l'éboulis chaotique sous-jacent (fig. 4 et 6) serait compréhensible comme un simple aménagement complétant la surface plane naturelle de N-13 sous le surplomb et corrigeant en M-13 la surface tourmentée des blocs de la couche sous-jacente (on a pu disposer côte à côte les dernières dalles tombées naturellement). Mais nous avons trouvé sous deux de ces dalles, outre les petits os que des animaux fouisseurs ou la percolation ont pu y introduire ensuite, des pièces plus importantes : sous la dalle 3 le plus grand fragment de crâne, mesurant 15 cm, sans aucun autre débris de crâne, sous la dalle 5 un fémur incomplet ! L'aménagement de ces dalles "de fond" - peut-être tombées naturellement après les premiers dépôts de corps - a donc été postérieur aux premières pratiques funéraires, avec un délai suffisant pour que les corps se soient décomposés et que des pratiques diverses (ou des animaux...) en aient fragmenté les os et jusqu'au crâne. Deux autres structures plus mystérieuses consistent en creusements annexes aux limites de l'ensemble. L'une, que nous avons nommée "facies B de la couche II-2", est une excavation de quelques décimètres faite tout au fond, à gauche, en N-13, sous la voûte. Elle a traversé complètement la couche III et atteint la couche IV. La couche II-2 s'y prolongeait sous forme de plusieurs os importants, dont un fémur, et de quelques autres plus petits, avec le sédiment propre à cette formation. Nous rapprochons (Masset et Rozoy 1997) cette structure bizarre, que ses auteurs ont dû créer difficilement sous la voûte (voir la coupe, fig. 4), des sorties existant dans certaines allées couvertes tout à leur extrémité, et ne débouchant sur rien - ou sur l'autre monde ? (Leclerc et Masset 1983). Une autre structure mise en évidence grâce à la finesse de fouille de David Nicolas est une fosse ovale de près d'un mètre carré creusée devant  l'abri, en N-11, aux dépens des couches III et IV, et qui s'est remplie (spontanément ?) d'un sédiment ressemblant à celui du III, mais plus noir. A l'heure où ces lignes sont écrites, cette structure, probablement un "facies C de la couche II-2", n'est pas encore correctement élucidée. On y a trouvé quelques petits os analogues à ceux de la sépulture collective et pouvant avoir été déplacés par des animaux, un minuscule tesson de céramique noirâtre, un petit silex, et surtout deux vertèbres humaines (les deux premières lombaires) dont l'état physique n'est pas celui des pièces (animales) de la limite III-IV. La présence de trois pierres rougies, groupées, au bord de cette fosse (fig. 8), indique une action humaine sans pour autant, actuellement, nous en révéler la date. Seules des analyses (pollens, sédimentologie, taux de radiocarbone des vertèbres, peut-être thermoluminescence...) pourront nous donner la clef de cette fosse et confirmer (ou infirmer...) son appartenance à l'ensemble funéraire.

La couche archéologique III - IV


Le sondage d'avril 1996 nous avait fourni à la base de la couche III, au contact de la couche IV et certains un peu englobés dans celle-ci, 14 os animaux (ou fragments) assez fortement minéralisés et trois silex, tous trois des outils retouchés : une lame tronquée, une lamelle tronquée et un petit éclat retouché (fig. 9). Trois os étaient susceptibles de détermination par les spécialistes, nous les avons confiés à Anne Bridault au Museum National d'Histoire Naturelle. Un quatrième silex a été trouvé lors de notre arrivée sur le site pour reprendre la fouille en septembre 1996, posé sur le sol moderne à côté de la coupe parasagittale. Le fond de la tranchée, au pied de cette coupe, contenait près de deux seaux de terre noire provenant évidemment du grattage de la coupe par quelqu'un d'assez bien renseigné pour avoir pu aller gratter uniquement la couche III (les autres couches ne sont pas noires). Ce silex, une lame de débitage régulier comme celle sortie par nous, a absolument la même patine que les trois autres et présente aussi quelques retouches. Aussi estimons-nous possible qu'elle provienne de la même couche. Cet incident illustre fâcheusement les inconvénients scientifiques d'une méthode d'administration tâtillonne imposant (à défaut de pouvoir en obtenir le monopole) des délais entre les épisodes de la fouille. La couche III étant à l'évidence holocène, forestière, la régularité des deux lames avait fait évoquer très dubitativement le Mésolithique récent ou final ou peut-être le Tjongérien, un Epipaléolithique régional contemporain de l'Azilien. Les stades ancien ou moyen du Mésolithique pratiquent en effet un débitage (style de Coincy) beaucoup moins régulier. Ces déductions étaient basées sur un nombre d'indices beaucoup trop faible pour avoir une valeur autre que d'orientation potentielle. C'est dans cet esprit que nous avons abordé en mai 1997 la fouille enfin autorisée de la couche archéologique III - IV.

La fouille de mai 1997 nous a montré rapidement que cette faible couche était en fait située dans la partie supérieure de la couche IV,  tant dans la zone à peu près plane de N-13 (mais sous la voûte avec moins d'un mètre sous plafond) qu'en M-13 entre des dalles et blocs posés dans tous les sens et n'offrant pas de surface confortable.. Seuls quelques os, comme certains de ceux trouvés en avril 1996, reposaient sur la surface du IV et étaient plus ou moins englobés dans le III, par suite soit d'une venue plus tardive, soit d'une érosion les ayant fait apparaître en surface. La couche archéologique n'est donc pas liée à la couche III forestière, mais à la couche IV immédiatement précédente, constituée visiblement sous un régime climatique entièrement différent, que palynologie et malacologie nous permettront, espérons-nous, de préciser. Nous avons identifié, sur ces quelques mètres carrés, outre quatre nouveaux petits fragments de silex, 74 nouveaux fragments ou groupes de fragments d'os animaux, presque tous petits : de un à huit centimètres. Il s'agit principalement de fragments de diaphyses d'os longs, certains  d'assez forte taille, d'autres plus minces, tous bien minéralisés comme ceux trouvés l'an passé. Ils sont complètement dispersés sur toute la surface fouillée (plan, fig. 10). Un seul os, trouvé dans la dernière demi-heure de fouille, dans la rigole de L-13 entre la paroi et un bloc, bien dans l'épaisseur de la couche IV, est à peu près entier. Le même jour, une communication téléphonique d'Anne Bridault que nous remercions ici bien chaleureusement nous donnait aussi la clef de l'énigme : les trois os déterminables du sondage d'avril 1996 sont tous trois des os de cheval ! Et plus précisément de pattes de cheval (deux métatarsiens et un métacarpien). Il ne peut évidemment être question de cheval au Mésolithique récent ou final, dans la forêt fermée (chênaie mixte) de l'Atlantique vers 5 000 avant notre ère, et guère plus au Tjongérien vivant à l'Alleröd vers 9 500 avant notre ère dans une forêt assez claire et fraîche, mais quand même une forêt (pins et bouleaux). Le cheval est un animal de steppe, et cela concorde parfaitement avec nos dernières constatations : le sédiment de la couche IV paraît parfaitement compatible avec la steppe - dans ce cas, une steppe froide.

La détermination du dernier os trouvé dans la couche IV pourrait permettre de préciser un peu : il s'agit d'un calcaneum de cervidé. Mais, avec notre excellent ami J.-P. Pénisson, Président de la Société d'Histoire Naturelle des Ardennes que nous remercions ici, nous avons, d'après l'atlas de L. Pales et Ch. Lambert, une hésitation entre le cerf (Cervus elaphus L. ) et le renne (Rangifer  tarandus L. ), la pièce étant plus grande que celle présentée par l'atlas pour le renne, et plus petite que celle présentée pour le cerf. Les détails de la morphologie paraissent plus proches du renne (mais les différences sont minimes). Le cerf est plutôt un animal de forêt. Si l'on concluait au cerf, il faudrait donc penser que le biotope était assez mixte, avec des espaces un peu boisés. Cela confirmerait l'analyse pollinique de Claudine Noirel-Schutz (1990) pour le site présumé contemporain de Chaleux, où un micro-climat permettait la pousse d'essences thermophiles, en attendant les déterminations polliniques de la même auteure sur le Nichet-2, en cours d'analyse. Il est bien connu que toute cette bande calcaire où l'eau s'infilte rapidement est nettement plus chaude que le massif schisteux refroidi par la moindre pluie, c'est pourquoi les lanceurs de sagaies s'y sont dans l'ensemble limités, ils n'y étaient d'ailleurs qu'en été (Rozoy 1997). Si l'on concluait au renne, cela serait très homogène avec la présence du cheval et en faveur de la steppe froide très peu arborée. Il nous faut donc attendre la détermination d'une vraie spécialiste, nous allons solliciter Anne Bridault à nouveau. Après marquage, nous avons aussi essayé de recoller les 125 fragments d'os de la couche IV (dont 88 de moins de 3 cm), dont la reconstitution aurait pu, en cas de succès, nous donner de nouvelles indications fauniques. C'est malheureusement impossible, on n'a pu raccorder que 4 ensembles, tous trouvés groupés (fragment d'os écrasés sur place), même les débris trouvés proches les uns des autres et relevés sous le même numéro appartiennent visiblement à des os différents. Les 37 fragments de plus de 3 cm (le plus grand, de 8 cm) sont des plus divers. Il semble donc que ces débris ne proviennent pas d'une action unique, mais de passages répétés, la plupart des fragments ayant été ensuite emportés par des animaux.

La présence humaine attestée par les os d'animaux vivant dans la steppe, les sept silex et les traces de feu serait donc soit de l'Ahrensbourgien, soit du Magdalénien supérieur (immédiatement avant la couche III forestière, cela ne peut être plus ancien, sauf à retenir une très improbable et très forte lacune stratigraphique par érosion, que les analyses naturalistes pourraient infirmer ou confirmer). L'Ahrensbourgien , daté au Dryas III vers 9 000 avant notre ère où il a surtout chassé du renne dans une toundra-parc très peu arborée, est connu sur le massif primaire de 4 sites (Fonds-de-Forêt, Remouchamps, le Coléoptère, La Préalle, Otte 1984), tous quatre dans le bassin de l'Ourthe et de ses affluents, 55 à 80 km au nord-est du Nichet-2. On en connaît des traces et surtout des équivalents au Luxembourg et dans le Bassin parisien. Sa présence au Nichet-2 (ou celle d'un équivalent) ne serait donc pas impossible, toutefois la distance aux sites connus est bien plus forte que pour le Magdalénien, et nous ne le citons donc que par acquis de conscience.

 Du Magdalénien supérieur, daté dans la région de l'épisode un peu moins froid de Bölling, vers 12 500 avant notre ère (toundra-parc très peu arborée, sauf dans les fonds de vallées bien exposés comme à Chaleux), on connaissait jusqu'à présent en Ardenne 13 sites (fig. 1). Pendant le Solutréen et les stades précédents du Magdalénien, il faisait trop froid, il n'y avait pas de végétation sur le plateau, et peu dans les vallées, donc pas de gibier. Et il semble qu'il en ait été de même au Dryas II vers 12 000. 12 sites sont en Belgique, le plus proche étant à Vaucelles (Bellier et Cattelain 1986), mais de l'autre côté de la Meuse et un tant soit peu plus ancien. Le plus important est à Chaleux sur la Lesse (Dupont 1872, Dewez 1987), le plus méridional et le second en abondance est Roc-la-Tour I (Rozoy 1988 a, b, 1997), en France, sur un rebord du plateau schisteux. L.G. Straus vient de mettre en évidence un quatorzième site (pauvre) à Bois Laiterie (Rivière, Profondeville), à mi-chemin entre Dinant et Namur (Otte, Straus et alii  1995). Sous réserve de confirmation par les analyses, le Nichet-2 viendrait donc compléter la série, au tiers du chemin entre les deux "camps de base" de Chaleux et de Roc-la-Tour I. Qu'il s'agisse d'Ahrensbourgien ou de Magdalénien, la présence au Nichet-2 est évidemment très faible, mais elle atteste un ou plusieurs stationnement(s). Les os de pattes de cheval et de cervidé sont peut-être un indice d'un travail sur les tendons, matière première essentielle pour les tentes, les vêtements et les armes. On conçoit qu'après une chasse sur le plateau immédiatement sus-jacent on ait effectué ce travail devant la barre rocheuse mettant à l'abri du vent. Le cerf, si c'en est un, a pu être tué dans la vallée, plus probable pour la pousse des arbres. Il est possible que les os rejetés aient été ensuite la proie de carnivores, ce qui en expliquerait la très forte fragmentation. Mais nous n'avons constaté de  traces de dents que sur un seul sur ces débris (fig. 9) où il s'agit peut-être d'une action humaine, une confirmation (ou infirmation) devra être demandée à un spécialiste. Et les carnivores n'ont ni fabriqué, ni apporté les silex taillés. Or on en constate, avec des traces de feu, tout au fond de l'abri (fig. 10). On peut donc penser que la fragmentation des os est dûe au besoin pour les hommes (Delluc 1995, p. 106-110) de consommer la moëlle, principale source de lipides, surtout chez le cheval. Les traces de feu témoignent du chauffage indispensable à cet effet. D'ailleurs les fragments trouvés sont probablement, d'après leurs dimensions, ceux de gros os contenant plus de moelle que les métacarpiens. Il y aurait donc eu consommation sur place. On peut présumer l'existence d'un camp de base non pas dans les environs immédiats (on aurait emporté les pattes et les os pour faire le travail et la cuisine au camp), mais probablement un peu plus au sud (en terrain siliceux, hélas !) car la distance entre Chaleux et Roc-la-Tour I (38 km à vol d'oiseau, dont 25 de Roc-la-Tour au Nichet et 13 du Nichet à Chaleux) dépasse largement la somme des rayons journaliers généralement admis (10 km en terrain plat, ce qui n'est pas le cas ici). Reste à trouver ce site ! Et à obtenir l'autorisation de le fouiller, ce qui sera peut-être encore plus difficile...

Bibliographie


Bailloud (G.) - 1964 - Le Néolithique dans le Bassin parisien. II° suppl. à Gallia-Préhistoire, Paris, C.N.R.S., 27 cm, 293 p.

Bellier (C.) et Cattelain (P.) - 1986 - Le Trou des Blaireaux à Vaucelles. Helinium 26,  p. 46-57.

Delluc (G. et B.) et Roques (M.) - La nutrition préhistorique.  Périgueux, "Pilote 24", 23 cm, 223 p.

Dewez (M.) - 1987 - Le Paléolithique Supérieur Récent dans les Grottes de Belgique. Louvain-La-Neuve, Soc.Wallonne de Palethnologie, 28 cm, 466 p.

Dupont (E.) - 1872 - L'Homme pendant les Ages de la Pierre dans les environs de Dinant-sur-Meuse. Bruxelles, 23 cm.

Leclerc (J.) et Masset (Cl.) - 1983 - Sur les issues des sépultures collectives (Seine-Oise-Marne et Quercy). Congrès Préhistorique de France XXI-2,  p. 170-177.

Masset (Cl.) et Rozoy (J.G.) - 1997 - Une "grotte mosane" près de Givet : Nichet-2 à Fromelennes (Ardennes, France). Note préliminaire. Actes 5, Cinquième journée d'Archéologie namuroise, Namur, 22 février 1997,  p. 53-59.

Noirel-Schutz (Cl.) - 1990 - Analyse pollinique de l'occupation magdalénienne de la grotte de Chaleux (Belgique, Province de Namur).  Université de Paris-I, UER 03 Archéologie, Mémoire de D.E.A., polygraphié, 160 p.

Otte (M.) - 1979 - Le Paléolithique supérieur ancien en Belgique.  Bruxelles, Musées royaux d'art et d'histoire, Monographies d'Archéologie nationale, 5.

Otte  (M.), Straus (L.G.) et alii  -1995 - Rapport préliminaire sur le site magdalénien final du Bois Laiterie (Wallonie, Belgique). Notae praehistoricae 15 ,  p. 11-33. (Liège-Louvain-la-Neuve).

Otte (M.) - 1984 - Le Paléolithique supérieur en Belgique. Peuples chasseurs de la Belgique préhistorique dans leur cadre naturel,  éd. par Daniel Cahen et Paul Haesaerts, p. 157-179 (Bruxelles, I.R.S.N.B.)

Pales (L.) et Lambert (Ch.) - 19.. - Atlas ostéologique des mammifères..

Rozoy (Dr J.-G.) - 1988 a - Le Magdalénien en Europe : démographie, groupes régionaux. Bull. Soc. Préhist. Luxembourg 10,  p. 139-158.

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Rozoy (Dr J.-G.) - 1997 - Séjours d'été en Ardenne des Magdaléniens du Bassin parisien. Paléolithique supérieur entre Seine et Rhin, Table ronde de Chaumont 1994,  sous presse.

Terres Ardennaises - 1992 - Les grottes de Nichet.  N° spécial de "Terres Ardennaises", 30 cm, 68 p.

Toussaint (M.) - 1995 - Quelques aspects de la problématique des recherches paléoanthropologiques et archéologiques dans les sépultures préhistoriques holocènes du karst mosan. Bulletin des Chercheurs de la Wallonie,  p. 161-195.

Légendes des illustrations

Fig. 1 - Carte des sites magdaléniens de l'Ardenne.

Ils sont distribués dans la partie nord du massif primaire (Condroz et Famenne) qui comporte des bandes calcaires avec des grottes. Roc-la-Tour I est le seul sur terrain siliceux, en plein-air, et en hauteur (400 m). Le Nichet-2 apparaît comme un intermédiaire entre les deux camps de base de Roc-la-Tour I et de Chaleux. Vaucelles magdalénien était plus ancien, pour cette période il a fourni une couche pauvre attribuée au Creswellien.

Fig. 2 - Plan du Nichet-2 aux niveaux 0, -100 et -150.

Le niveau 0 était le haut du remplissage, atteint seulement à la limite L-M-13-14. En avant, la couche I ne dépassait guère - 100 au niveau de la souche du charme. La sépulture collective S.O.M. occupait (avec dix fois plus de blocs rocheux que d'os) les niveaux 130 à 80 d'une surface de 5 m2, dont la moitié réellement occupée. La couche paléolithique était au niveau ± 155, où la surface disponible abritée était de 7 m2, mais dont la moitié sous des plafonds de 20 à 100 cm convenant mieux à des animaux qu'à des êtres humains. Avant la chute des blocs la partie droite plus haute sous plafond était à peu près plane et pas encore exposée aux intempéries

Fig. 3 - Coupe sagittale L-M du Nichet-2 .

Les parties en tireté ont été rétablies d'après les déclarations des spéléologues. La sépulture collective et les parties sous-jacentes et antérieures sont figurées d'après les plans et coupes relevés lors de la fouille et du sondage. On voit en haut la coupe de la moitié qui subsiste de l'aven initial, et en arrière la fissure biaise qui débouche dans l'abri 20 cm en avant du plan de la coupe (voir fig. 2 et 9), des éléments de la sépultures néolithique y avaient été repoussés dans sa partie moyenne, plus bas c'est la couche IV avec ses os animaux. Sous le niveau des dalles supportant le néolithique, on perçoit l'éboulis de blocs que la couche IV (dont le haut contient le Magdalénien) n'empâte que très partiellement (les blocs s'y sont plus ou moins enfoncés lors de leurs chutes).

Fig. 4 - Coupe frontale du Nichet-2 au milieu des mètres 13.

En haut se distingue le demi-entonnoir qui subsiste de l'aven initial. A la limite L-M est la faille subverticale ayant donné naissance à cet aven, faille qui s'élargit vers le bas, en arrière du plan de la coupe. Les dalles du fond de la sépulture collective sont subhorizontales (en tireté, celles qui ne sont pas dans le plan de la coupe). A gauche des dalles, la surface plane naturellement de N-13, puis le facies B de la couche II-2, creusé (difficilement) sous une voûte à 20-30 cm. Sous les dalles de l'aménagement sont d'autres dalles et blocs posés dans tous les sens comme il est normal dans un éboulis de cette nature. La couche III ne remplissait que partiellement les creux entre ces blocs, dont le haut comportait ici et là le sédiment II-2 et quelques faibles vides. La surface de la couche IV était à peu près plane avant la chute des principaux blocs, surtout en N-13, mais avec le plafond à 50 - 100 cm.

Fig. 5 - Coupe frontale 11-12 du Nichet-2.

La fouille ayant été autoritairement arrêtée à la partie haute de la couche 4, nous figurons pour les parties sous-jacentes la coupe du sondage L-M-11, qui par suite de la présence d'un très gros bloc supportant la sépulture collective comporte un décrochement de 25 cm. On remarquera dans toute l'épaisseur de la couche VI la forte pente bien mise en évidence par les alternances des couches blanches de calcite pure et les passées beiges colorées par un peu d'argile. Cette pente contraste avec l'horizontalité des couches IV, III et II dont on peut penser que le dépôt est postérieur au colmatage d'un accès (vers la droite) aux étages inférieurs.

Fig. 6 - Plan de base de la sépulture collective.

A droite, en L-M-12-13, les six dalles ont été déposées jointives, créant par-dessus l'éboulis chaotique sous-jacent une surface à peu près plane continuant celle naturelle de N-12-13. Au fond à gauche a été creusé sous un plafond à 20-30 cm, à la limite d'un retour du plancher de l'abri, le "facies B" où se sont ensuite éboulées les pierres plates qui peut-être limitaient l'espace proprement sépulcral, et quelques os dont un fémur. Les pierres verticales à la limite O-N-12 sont peut-être un vestige d'une limite de la chambre sépulcrale. Enfin la fosse en N-11, au niveau 175 (le fond à 200), avec ses deux vertèbres, est un autre mystère.

Fig. 7 - Les témoins culturels de la couche II-2.

1. - Perle en céramique, âge du bronze ? (carré N-12 à - 140).
2. - Pointe de flèche en silex, typique du Néolithique final (carré N-13 à - 140).
3. - Anse de tasse en céramique, âge du bronze final (carré L-13 à - 104 contre le rocher).
4. - Fond de tasse en céramique, âge du bronze (déblais des spéléologues).
5. - Défense de sanglier, bien connue dans les sépultures néolithiques (carré N-13 à - 132).

Fig. 8 - Coupe parasagittale M-N.

Couche VI : On perçoit ici les fortes inégalités de dépôt de la couche VI, qui remonte sous l'abri presque juqu'au niveau 150 et n'est là recouverte que par la partie supérieure de la couche IV, qui contient la couche archéologique paléolithique. Le feuilletage montré par la coupe frontale 11-12 (fig. 3 et 5) exclut l'idée que le fort pendage des mètres N vers les mètres L (75 cm sur 2 m, et 120 cm sur 2 m dans les mètres 12) tienne à une érosion, il s'agit bien de la morphologie du dépôt dans le karst profond, qui nous indique dans quelle direction on trouvera le passage vers le Tasson, obstinément nié par l'autorité régionale de l'archéologie qui voulait interdire la fouille. Les blocs très irréguliers inclus dans la partie hors abri de la couche 6 contrastent brutalement avec l'absence totale de pierres dans la partie abritée et témoignent du démantèlement très ancien de la partie antérieure irrégulière du rocher, qui a abouti finalement à l'ouverture de la cavité sur l'extérieur.
Couches IV et III : La couche IV recouvre la couche VI (avec une faible interposition V dans le creux de celle-ci) et elle en suit les inégalités en les atténuant. Cette atténuation est particulièrement manifeste sur la coupe frontale (fig. 5), ce qui montre l'arrêt du soutirage par suite d'un comblement de l'accès aux étages inférieurs. La couche IV a subi en N-11 une ablation (non perceptible en M-11, la coupe M-N en montrait initialement à peine une ébauche, ici la coupe a été un peu reculée) par suite du creusement de la fosse N-11 (en tireté, la coupe à un ou deux décimètres au-delà). Le remplissage de cette fosse a, lors de la fouille, été nommé couche III, avec deux subdivisions III a et III b. Mais il a été observé aussitôt que ce remplissage, bien que granulométriquement (en macroscopie) analogue au III, et contenant comme lui beaucoup de coquilles, en était différent par sa couleur plus foncée. L'état physique des deux vertèbres humaines, contenues dans le III, était aussi très différent de celui des os de la surface du IV. Il s'agirait donc d'un III de substitution.

Fig. 9 - Silex et os animal de la surface de la couche IV.

La détermination culturelle sur des vestiges aussi réduits est évidemment plus que hasardeuse, impossible. Tout au plus pouvait-on écarter le Mésolithique ancien et moyen, dont le style de débitage est tout autre. C'est la présence d'os de cheval et la malacologie (couche en-dessous du Préboréal) qui permettent de rattacher au Magdalénien ces outils, y compris les quatre "débris" non retouchés. On remarquera l'analogie de la lame tronquée avec celles trouvées dans les poches des défunts à Téviec et Hoédic, six ou sept mille ans plus tard (Rozoy 1978, pl. 218, 228). Les traces sur l'os 41 sont-elles d'origine humaine ou animale ? Nous attendons l'avis des spécialistes à ce sujet.

Fig. 10 - Plan des vestiges de la limite III-IV et du haut de la couche IV.

Les 88 débris et groupes de débris d'os sont dispersés sur toute la surface, avec une relative concentration au fond en M-13-sud et M-14 (entre les deux groupes était à ce niveau le bloc qui bouchait l'entrée de la fissure) et en M-12-sud. Mais les os plus ou moins entiers, déterminables, sont en avant, trois hors de l'abri, avec trois des silex (ceux qui sont retouchés) et un en L-13. Le manque en N-11 correspond à la fosse (néolithique ?) qui a amputé la couche IV, celui en M-12-est et -nord, à la présence de deux dalles biaises qui portaient les dalles d'aménagement de la sépulture néolithique, celui en L-12-est et -nord, à d'autres dalles et blocs du même type ne laissant guère de place pour la terre. Le mètre K-11, devant la barre rocheuse en dehors de l'abri, n'a rien donné, L-10 non plus. Les traces de feu sont en avant, en N-12, sous des plafonds de l'ordre d'un mètre, plus deux avec les os du fond et deux en avant hors de l'abri. Leur coïncidence avec la fosse N-11 suggère très fortement qu'elles lui sont liées, elles seraient donc probablement néolithiques, en tous cas non liées réellement à la couche paléolithique de la surface III-IV.


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