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Docteur Jean-Georges Rozoy


Résumé des abréviations utilisées dans les articles : consulter la liste.

1967

Dr J.-G. ROZOY

LE TARDENOISIEN FINAL



L'article de M. Escalon de Fonton, dans le dernier C.R.S.M. (1), est l'une des trop rares tentatives pour prendre une vue d'ensemble sur l'évolution du Tardenoisien ; il est fondé sur un nombre important de constatations valables. Aussi mérite-t-il quelques observations qu'autorisent, je pense, l'amitié qui me lie à l'auteur et le travail entrepris en commun au sein du Groupe d'Etude du "Mésolithique". En effet, une partie des conclusions de M. Escalon se trouve faussée par une connaissance imparfaite du Tardenoisien du Bassin Parisien.

Il n'est pas exact que des Lamelles à bord abattu accompagnent toujours les "géométriques" dans le Bassin Parisien. En effet, le gisement du Rû de la Pelle (2) et celui, voisin, de l'Allée Tortue (3), pour s'en tenir à des publications récentes, ne comportent pas de Lamelles à bord abattu, et les géométriques s'y réduisent pratiquement aux Trapèzes. Les Lamelles Montbani (4) constituent la moitié de l'outillage à l'Allée Tortue, et sans doute presque autant au Rû de la Pelle, d'après l'inventaire sommaire et les bons dessins de M. Hinout. Un gisement belge en cours d'étude présente le même faciès ; il sera publié dès la fin de la fouille. Or, précisément, ce faciès est à coup sûr, comme le montrent les stratigraphies de Birsmatten (5) et de Belloy (6, 7), le faciès terminal du Tardenoisien du Bassin Parisien et de Belgique. On y rencontre des Flèches danubiennes (4) qui soulignent ses relations avec le Néolithique le plus ancien de la région (8).

Il n'est pas exact non plus que la position chronologique du Tardenoisien du Bassin Parisien soit "bien fixée par des analyses C-14, palynologiques et géologiques concordantes". En effet, le travail auquel se réfère M. Escalon (9) comporte : d'une part, une importante contradiction interne, la présence de pollens atlantiques sous des blocs de grès mis en place par les glaciations ; et se trouve, d'autre part, en contradiction totale avec un grand nombre d'analyses C-14 et palynologiques en milieux clos qui datent ce faciès lithique sans Trapèzes ni Lamelles Montbani à la fin du Boréal (Rouffignac, Montclus, Birsmatten, Oirschoot, Sweykhuysen, Ermeloo, Hatert, Montbani II, etc.). J'ai dit ailleurs (8) mon opinion sur les datations C-14 et polliniques dans les sables en général et à La Chambre des Fées en particulier : la présence d'un denier carolingien sous la couche datée par le C14 à -3000 ne peut être sous-estimée. Le moins qu'on puisse dire actuellement est donc qu'une controverse extrêmement vive se déroule au sujet de cette datation. L'analyse pollinique de Hergenrath (10) plaçant le Tardenoisien à Triangles à l'époque de La Tène n'en est pas l'élément le moins original.

Ceci étant dit, qu'en est-il du (ou : des) Tardenoisiens finaux ? Toutes les stratigraphies et milieux clos nous montrent les Trapèzes comme postérieurs, partout, à des stades (Sauveterriens divers, Montadien, Tardenoisien moyen, voire même peut-être culture des Pointes à soie à Remouchamps) comportant d'autres microlithes "géométriques" accompagnés ou non, selon les cas, de Lamelles à bord abattu. Mais, dans tous les cas, l'introduction des Trapèzes et celle, plus ou moins concomitante, des Lamelles Montbani, se fait lentement avec réduction progressive, puis disparition, des microlithes précédents : Pointes à base non retouchée, Segments et Pointes de Sauveterre, Triangles, Pointes du Tardenois, Feuilles de gui, le cas échéant Lamelles à bord abattu. Ce passage progressif d'une industrie à Triangles à une industrie finale à Trapèzes exclusifs donne, dans chaque région, l'illusion d'une création sur place du "Tardenoisien" final. Il s'agit en réalité de l'évolution parallèle de chasseurs-pêcheurs plus ou moins apparentés (sauf les Montadiens) qui adoptent à peu près simultanément un nouvel outillage composé essentiellement d'outils communs traditionnels (grattoirs, éclats retouchés), de Trapèzes, et de Lamelles Montbani : c'est la "Blade and Trapèze industry" de Clark (11), avec présence à la fin d'armatures (Flèches danubiennes, Trapèzes du Martinet à retouches inverses plates) traduisant les contacts avec les Néolithiques les plus anciens de la région. Une révolution technologique dans les procédés de pêche et de chasse paraît donc avoir précédé de peu la révolution néolithique.

Cette industrie à Trapèzes ne paraît pas procéder du Tardenoisien moyen ni d'aucune autre industrie épipaléolithique ("mésolithique") connue en Europe occidentale, car il n'a été mis en évidence jusqu'ici aucune forme de transition entre les types lithiques, et l'on pourrait discuter sa dénomination de Tardenoisien, qui crée une confusion avec le Tardenoisien ancien et moyen du Tardenois. L'introduction des Trapèzes et des Lamelles Montbani n'éliminant pas du jour au lendemain les microlithes préexistants, il est normal de retrouver, dans un stade transitoire, ces microlithes avec les Trapèzes ; les Lamelles à bord abattu seront présentes ou non, selon que l'industrie d'accueil dans la région en comportait (Tardenoisien moyen, Sauveterriens divers) ou non (Montadien).

S'il est confirmé que les Lamelles à bord abattu manquent à Téviec et Hoédic, ce peut être, soit par leur absence originelle au sein de l'épipaléolithique ("mésolithique") local, encore très mal connu, soit simplement parce qu'il s'agit d'un stade évolué, plus ou moins assimilable à celui de l'Allée Tortue et du gisement belge homologue. Mais il ne peut, à mon sens, être parlé de Tardenoisien "côtier", tout au moins tant que manquent des analyses qualitatives et quantitatives serrées des gisements intéressés : celles-ci existent pour Muge grâce à l'Abbé Roche, mais manquent encore pour Téviec... et pour les milliers de gisements côtiers de l'Atlantique. Quoiqu'il en soit, la disparition progressive des Lamelles à bord abattu dans les concheiros de Muge n'est qu'un cas particulier de la disparition des microlithes anciens lors de l'introduction des Trapèzes et de leur évolution.

En résumé, le Tardenoisien final est la période - longue d'un à deux millénaires - où des groupes de chasseurs-pêcheurs dispersés dans la forêt atlantique adoptent progressivement, pour des raisons technologiques encore inconnues, un outillage de Trapèzes, Lamelles Montbani et outils communs divers, avec disparition progressive des microlithes qui leur étaient habituels. Les types de Trapèzes varient selon les groupes avec une bonne fixité régionale qui traduit la stabilité réelle de ces "nomades" sur leurs territoires traditionnels. D'une extrême richesse typologique, lors de l'introduction de la nouvelle technique, on passe partout à une monotonie remarquable, Trapèzes et Lamelles Montbani subsistant pratiquement seuls avec quelques outils communs lamellaires. Des contacts avec le Néolithique ancien sont attestés en diverses régions. Le grand intérêt de cette phase évolutive des chasseurs épipaléolithiques est de prouver le parallélisme d'évolution des groupes régionaux les plus variés, bon indice d'une évolution sociologique (et même cérébrale) parallèle dans des groupes divers. L'évolution du substrat mental se fait localement dans des sens et à des degrés concordants, sans quoi l'adoption et l'adaptation de la technique nouvelle par les différents groupes ne pourraient avoir lieu effectivement et de façon analogue.

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

ESCALON DE FONTON M. - Tardenoisiens et Castelnovien. Bull. S.P.F. 1967, C.R.S.M. n° 7, pp. CCXIX-CCXXIII.

HINOUT J. - Un gisement tardenoisien de Fère-en-Tardenois. Bull. S.P.F. 1962, 7-8, pp. 478-490.

PARENT R. - L'Allée Tortue. Bull. S.P.F. 1967 (sous presse).

ROZOY J.-G. - Typologie du Tardenoisien. Bull. S.P.F. 1967 (sous presse).

BANDI H. G. et coll. - Birsmatten Basisgrotte. Stàmpfli, Bern 1964.

SALOMONSSON B. - Fouilles à Belloy-sur-Somme. Meddeland frän Lunds Universitets Historiska Muséum, Lund (Suède), 1959.

ROZOY J.-G. - La stratigraphie du Néolithique ancien à Belloy-sur-Somme (Plaisance). Rapport de fouilles alors en cours de rédaction.

ROZOY J.-G. - La fin de l'Epipaléolithique ("mésolithique") dans le Nord de la France et la Belgique (alors sous presse).

HINOUT J. - Gisements tardenoisiens de l'Aisne. Gallia-Préhistoire 1964, pp. 65-106 (appendice II, pp. 95-106).

IIEIM J. - Analyse pollinique d'un podzol à Hergenrath (prov. de Liège). Bull. Ass. Fr. Et. Quaternaire 1966, n° 3, pp. 208-216.

CLARK (J. G. D.). - Blade and Trapèze industry of the european Stone age. Proceeding of the Prehistoric Society


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